D'une bibliothèque à l'autre
C'est une véritable mine de renseignements qu'Odile a dénichée pour nous sur le site de la BnF : le Répertoire général des marques de fabrique pour fil de lin et de coton à coudre déposées à Lille de 1812 à 1895.
Inventaire à la Prévert
Ce répertoire démontre, s'il en était encore besoin, la propension des filateurs à multiplier les marques de fil et surtout leur redoutable créativité pour les doter d'un nom, des plus fantaisistes aux plus mystérieux.
Difficile de ne pas sourire en se baladant dans cet inventaire à la Prévert, tantôt drôle, tantôt attendrissant et le plus souvent surprenant… En le parcourant on finit par se demander : mais où vont-ils chercher tout ça ? Ça commence doucement, de la Fanchonnette à la Frileuse, en passant par les Forces de Samson, la Gauloise, le Ménétrier breton, l'Oiseau de Paradis, le Petit bon Dieu ou le Tisserand de Ségovie… j'en passe et des meilleures !
Mais ça devient carrément débridé dans la seconde moitié du siècle où il faut probablement se creuser de plus en plus pour faire original : A la fraîche, qui veut boire ?, ou bien sur le ton des déclinaisons : l'Homme-canon, l'Homme de fer, l'Homme au Singe et l'Homme de Neige.
Et puis on soupçonne tout de même des messages codés derrière certaines appellations ; car il ne devait pas être si innocent que ça, ce fil Guerre aux Chinois, Général Brière de l'Isle décliné ensuite par Hassebroucq frère en une tripotée de généraux, amiraux et autres commandants… Coup de pied de l'âne à un concurrent trop présent sur le marché ?
Finalement chacune retrouvera dans ces listes ses propres madeleines, pour moi ce fil Germain Pilon, juste parce que c'était la cité où habitait ma grand-mère à Montmartre, ou le Franc Bourguignon pour des raisons évidentes de chauvinisme régional ;-)
Protection ou pas ?
Ce qui m'interpelle le plus, c'est que le dépôt d'une marque ne semble pas empêcher sa réutilisation et à nouveau son dépôt par d'autres filateurs. Par exemple, on retrouve le fil au Pauvre Diable déposé en 1846 par Barthélemy Delespaul puis en 1852 par Antoine Picavet, la marque à la Princesse déposée en 1848 par Philibert Vrau puis en 1855 par Auguste Descamps. Il y a des noms qui font véritablement un tabac : on retrouve ainsi un dépôt pour la Renommée par Carlos Dathis en 1824, Barthélemy Delespaul en 1846, Ignace-Alexandre Senélar en 1847, Ignace Lambin en 1849, Antoine Picavet en 1852, Gustave Toussin en 1857, Victor Saint-Léger mais également Hassbroucq Frères en 1858, Fauchille-Delanoye en 1861 et finalement Crespel et Descamps en 1887, ouf ! La dénomination à la Vierge a eu également bien du succès puisqu'elle a été reprise par une dizaine de filateurs différents tout au long du siècle.
Une autre liste des filateurs lillois
Mais au-delà de l'aspect divertissant, Odile nous offre avec la trouvaille de ce répertoire une manière complémentaire d'identifier les marques des filatures, qui ne sont le plus souvent présentes sur les étiquettes que par la mention de leurs initiales. Or les listes reprennent ici, pour chaque marque de fil déposée, la marque de la filature associée in extenso et en abrégé. Ce sera donc facile désormais d'identifier les HF, R&C, EG ou AFD, y compris pour ceux qui ne figureraient pas dans la liste de Thiriez et Cartier-Bresson que nous avons déjà évoquée ici.
On veut des images !
Mais nous en voulons toujours plus ; et Odile regrette à juste titre qu'aucune image ne figure à ce répertoire. Ça m'a fait repenser à quelque chose que j'avais perdu de vue depuis un petit bout de temps et que je confesse avoir eu un peu de mal à retrouver : des pages extraites de l'Album des Marques datant de la seconde moitié du XIXème siècle et qui, pour ce que j'en sais, était une publication annuelle. Pour les fils, j'en ai seulement trois pages que je vous livre ici. Le format est grand, très proche de nos A3 modernes.
Et comme nos chères bibliothèques sont finalement des puits sans fond de documentation, aussi bien à Paris qu'en province, nous contenterons notre besoin d'iconographie en allant sur le site de la bibliothèque municipale de Lille, que je vous avais déjà signalé ici pour l'exposition sur la filterie Lilloise : il propose en ligne presque 1500 étiquettes de boîtes de fil dont nous allons pouvoir profiter tout notre content ! Je vous laisse y accéder en cliquant sur celle-ci qui m'a bien plu :
La collection est étourdissante -malgré des scans à la colorimétrie médiocre- et je voudrais en retenir des dizaines, Odile celle-ci est pour toi :
Quant à moi, j'ai trouvé mon bonheur... Et Vercingétorix le vainqueur de César remplace désormais l'étiquette dont je vous parlais ici à mon panthéon des objets désirés ;-) Ben oui, quoi, c'est pas comme si la vérité historique c'était important...
Et pour ne pas vous laisser sur cette note rétrograde, deux jolies, pour la route !
Mais tout ceci n'est qu'un aperçu, allez-y : vous n'êtes pas près d'en revenir tellement l'offre est variée !