Un dimanche chez Jean-Henri
Je viens de profiter d'un nouveau déplacement à Colmar pour faire une halte à Mulhouse. L'avenir de la friche DMC est incertain, je l'avais déjà évoqué dans ce billet. Et une récente information lue dans la presse n'allait pas dans le sens d'une sauvegarde des lieux. Requalification est bien rarement synonyme de préservation dans le domaine de l'urbanisme et je me suis dit qu'il était peut-être déjà trop tard pour cette visite…
Je n'avais rien prévu de particulier, j'imaginais juste en passant me rendre compte des dégâts puisque le site de l'ancienne filature se trouve quasiment à la tombée de l'autoroute. Il était déjà tard quand je suis arrivée, mais c'était sans compter avec les longues soirées de juin... et l'ange gardien des fouineuses ;-)
J'ai d'abord été surprise par l'étendue du site, qui constitue à lui seul tout un quartier de la ville. L'ambiance était un peu étrange en cette soirée du dimanche où la France faisait son galop d'essai au Brésil. Autant dire que Mulhouse était déjà ville morte quand j'ai commencé à fureter, en guettant chaque brèche qui me permettrait d'en voir un peu plus.
Site industriel, donc : au cœur, l'immense plateau central des bâtiments de production crénelés avec leurs impressionnantes cheminées et, tout autour, les maisons ouvrières sagement alignées.
Et filature de surcroît : impossible de l'ignorer jusque dans les noms des rues.
Abandon, oui : au premier regard, on en repère les stigmates qui enveloppent l'endroit d'un sentiment d'irrémédiable.
Certaines zones sont en activité, comme celle où DMC a replié sa production. J'ai aussi papoté avec un vigile qui veillait sur une partie réinvestie par de nouvelles entreprises. Et parfois les barrières cadenassées ne condamnent que des terrains abandonnés et laissés à la seule garde des oiseaux.
Mais j'ai fini par trouver, au bout d'une allée, une grille miraculeusement ouverte sur la friche. Impossible de résister à la tentation bien sûr... même pas essayé ;-) J'ai bien eu un peu les jetons de voir la grille refermée au moment où je voudrais sortir de là, mais la curiosité l'a emporté !
J'ai parcouru des allées rectilignes et désertes, tracées entre les bâtiments délabrés et toutes ombragées d'arbres centenaires, avec la sensation bizarre de me trouver dans un espace parallèle en marge du monde réel. Le bitume des allées est peu à peu rongé par la végétation, les quais désertés attendent des wagons qui ne viendront plus.
Partout DMC a laissé sa marque, jusque sur les bouches à incendie.
On suit l'évolution de la construction aux années inscrites au fronton des bâtiments.
De ces bâtiments, il ne reste parfois que les murs extérieurs. Au travers des immenses fenêtres encore habillées de leurs carreaux, on devine le squelette des ateliers, désormais à ciel ouvert : les colonnes devenues inutiles ne soutiennent plus que les nuages.
C'était si beau... et je m'en voulais justement de trouver beau le graphisme de ces constructions à demi en ruine, abritant le souvenir de vies ouvrières broyées dans une activité disparue. Je sentais des fantômes tout autour de moi, et pourtant, elle n'avait rien de sinistre, cette promenade nostalgique dans la lumière dorée du soir tombant.
C'était juste mon pélerinage de mécréante dans un lieu si proche de la disparition. En rentrant à la maison, j'ai caressé mes vieilles boîtes de floche, de cordonnet d'Alsace et de fil à dentelle, j'ai mélangé rouge turc et bleu du Rhin : tout venait de là. Avoir mis mes pas dans les leurs, avoir pensé si fort ma petite prière de collectionneuse, c'était bien le moins que je pouvais faire pour les âmes des fileuses, des pelotonneuses et des rattacheuses, des filtiers et des graisseurs qui avaient trimé ici !