À maman
Noémie sait que le colporteur qui s'arrête parfois à la Ferrière ne propose jamais d'aussi jolies choses. Lorsqu'il découvre le contenu de sa balle sur la table de la ferme, c'est pour en sortir de solides lacets, de la laine à repriser ou encore de ce coton rouge qui sert à marquer les torchons de la cuisine.
Non, ces belles soies aux couleurs chatoyantes ne viennent pas de l'armoire du colporteur, ni même de chez Madame Girard qui tient mercerie au bourg voisin du Gua. Car elle est raisonnable, Madame Girard, assez en tout cas pour savoir que ce n'est pas une marchandise dont elle aurait la vente dans ce coin du Vercors.
Par bonheur, la marraine de Noémie a juste le grain de folie nécessaire pour offrir de la soie à une petite paysanne ! C'est elle qui lui a fait la surprise de ces beaux écheveaux de mouliné soyeux, la dernière fois qu'elle est allée à Grenoble pour la foire des rameaux.
Ils sont doux et luisants dans la lumière du soir qui tombe. Il y a deux tons de mauve, un doré, et le dernier qui tire sur le vert amande. Ils sont tellement précieux ! Noémie les a quasiment usés à force de les contempler... mais elle ne s'était pas encore résolue à les utiliser. Aujourd'hui, c'est différent : elle est décidée et elle sait exactement ce qu'elle va en faire.
Elle a mis dans cet ouvrage tout le soin dont elle était capable. Elle n'avait jamais brodé aussi finement, ni utilisé un autre point que celui de la marque. Sa marraine l'a bien aidée pour border son carré avec ce point de feston si difficile à maîtriser. Il n'y a presque pas d'erreurs, en tout cas sa maman ne les a pas remarquées lorsqu'elle a découvert son travail.
Elle n'a vu qu'un ouvrage délicat, sur lequel sa grande fille a passé en secret des heures et des heures pour lui faire plaisir. Et maintenant la broderie, encadrée par une stricte moulure noire, trône près du globe de mariage de Marie et Jean. Noémie ne se tient plus de fierté quand elle regarde ce joli coin de la salle...