Une anguille aux yeux énormes
Encore une fois, je ne suis pas bien sure d'avoir été vraiment raisonnable en ramenant en Bourgogne ce mannequin auvergnat. Mais prise par le charme de l'objet, j'ai oublié la place qu'il allait occuper chez moi (pour ne servir à rien, évidemment...) et le travail de restauration qui s'annonce à nouveau. Parce que si vous suivez bien, j'en ai déjà un à remettre en état...
Enfin, inutile de refaire l'histoire : je l'ai, je le garde. Pour me familiariser avec ce nouvel habitant, j'ai exploré l'intérieur du buste, que j'ai trouvé tapissé de lambeaux de papier journal.
Je me suis dit que ces journaux pourraient peut-être me permettre de le dater, mais je n'avais vraiment pas grand chose à me mettre sous la dent. Des bruits de guerre, des hommes politiques qui ne font pas le job, des relations internationales crispées... rien d'assez original pour donner un point d'entrée à mes recherches. Et puis finalement, en regardant un peu mieux, je tombe sur ça : "Cette anguille a 2 mètres environ de longueur, une tête aussi grosse que celle d'un homme, des yeux énormes". Si ce n'est pas caractéristique, ça...
Direction mon marchand de journaux préféré qui me renvoit illico à une communication de la Société Nationale de Géographie parue, en août 1898, dans au moins trois journaux.
Source : Gallica
Mon mannequin a donc été fabriqué à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème, ce que confirment les absurdes silhouettes croquées dans les magazines de mode à cette époque-là.
Mode Palace, novembre 1901 - Source : Gallica
Il est un peu plus tardif que ce catalogue Stockman de 1893, dans lequel on retrouve déjà ce style de mannequin taille de guêpe.
Je vous en montre quelques pages, pour le plaisir et aussi parce qu'il contient, outre les bustes, des articles insolites servant à arranger la présentation des marchandises. Ils peuvent peut-être vous permettre d'identifier vos trouvailles de brocante restées mystérieuses : chevalets pour noeuds ou cravates, porte manchon, douille parapluie, poudrière à gants...
Un petit mystère persiste tout de même avec ce siffranc qui me semble correspondre à ce qui est pour nous une jeannette : je n'avais jamais rencontré cette appellation auparavant. Et vous, ça vous parle ?
Edit : Merci à Ghislaine qui a élucidé le mystère du siffranc, ou plutôt du cifran, et qui nous donne très précisément l'explication de la chose et sa source, allez vite voir son commentaire très complet ! Grâce à cette piste, j'ai consulté le Larousse Universel de 1922 à cifran... et voilà :-)
Source : Gallica