Au Tailleur
J'ai laissé un peu reposer l'énigme que je vous ai soumise il y a trois semaines. Sa solution m'a fort opportunément été fournie par une simple publicité parue dans la presse.
Les deux lettres VF cachaient donc la famille Vaquez-Fessart, dont au moins la branche Vaquez est impliquée dans la filature de la soie depuis le début du XVIIIème siècle. C'est une future recherche qui m'intéresse doublement.
D'abord l'Oise est le département de ma branche paternelle ; les recherches qui j'y ai déjà effectuées autour de la soie n'ont pas été très concluantes mais j'aurai l'occasion d'y retourner et cette piste m'ouvrira peut-être de nouveaux horizons.
Et puis Vaquez-Fessart fut un des membres fondateurs de la Soie, une société qui a produit pas mal d'objets publicitaires et qui est elle aussi inscrite à mon futur tableau de recherches. C'est donc la première pièce d'un puzzle qui se met en place.
Mais puisque cette publicité pointe plus particulièrement la marque Au Tailleur, c'est encore une boîte de grandes dimensions que je vous montre aujourd'hui. Comme celle du Cordonnet National, elle servait probablement aux mercières pour présenter la marchandise à leur clientèle.
Elle mesure 37 centimètres de longueur sur 28 de large et 7 centimètres de hauteur. Sa particularité est d'être parvenue jusqu'à aujourd'hui garnie de son contenu dans un état de remarquable fraîcheur : soixante-dix cartonnettes complètes pour un bien joli arc-en-ciel.
Je voudrais utiliser ces merveilles de couleurs pour un ouvrage... mais je ne peux pas, bien sûr ! Comment dépareiller cette boîte ? Alors je me contente de l'admirer, ce qui est déjà pas mal. Pourtant j'imgine le plaisir à broder ce fil-là, qui ne devrait pas avoir l'inconvénient de casser comme le font malheureusement beaucoup des soies anciennes.
Avez-vous déjà remarqué cet argument parfois mis en avant sur les fils de soie anciens : soie sans charge ou encore soie non chargée ? C'est que la soie a la propriété d'absorber facilement la plupart des sels métalliques, et que cela a donné lieu à un procédé plus ou moins honnête nuisant à sa solidité.
Au Moyen Âge, les statuts de marchands merciers de Paris prévenaient déjà contre cette filouterie consistant à charger abusivement la soie : "Que Fillaresse de soye ne soit si hardie de faire en soye aucun mauvais malice ; c'est assavoir, estroichement qui se fait par mauvaises liqueurs, dont la soye est plus pesante, sur peine de douze solz parisis d'amende".
Mais au XIXème siècle, la pratique s'est répandue et on considère "qu'aucune soie ne sort de chez le teinturier sans avoir une charge supérieure à 30 p. 100 pour les soies claires et 100 p. 100 pour les soies noires" (Manuel pratique du teinturier - J. Hummel). Dans les cas extrêmes, on est allé jusqu'à 400 % de charge, le teinturier pouvant produire 500 kilos de soie noire avec 100 kilos de soie grège !
Mais bien sûr, les qualités de la soie s'en trouvent détériorées et sa solidité grandement affaiblie. Voilà pourquoi Monsieur Vaquez-Fessart met en avant le métrage autant que le poids de son produit et insiste tant sur le fait que sa soie n'est pas chargée.
Voilà aussi pourquoi nous sommes souvent déçues lorsque nous nous mettons en tête d'utiliser nos soies anciennes :-(