Ar spilhenn Pardon
C'est une histoire d'épingles mais elle n'a pourtant rien à voir avec la couture. Il va plutôt être question de bijoux à la mode bigoudène.
La Bretagne est un pays où est encore vivace la tradition des grands pardons. Ces pèlerinages religieux s'égrennent par centaines tout le temps de l'été. Religieux ? Aussi, mais l'église catholique fronce cependant un peu le nez, tant ils sont mêlés de rituels païens hérités des ancêtres Celtes. On y va assez commodément réclamer à son saint préféré l'indulgence pour les petites vilenies commises dans l'année. Et comme ça recommence tous les ans, on peut tous les ans s'y faire pardonner ses mauvaises actions, dans un bel élan de ferveur populaire.
Pour faire bonne mesure avec les préoccupations spirituelles, ces grands rassemblements drainaient tout un flot de petits commerçants et de colporteurs de bimbeloterie. L'occasion était belle de s'y faire plaisir, à une époque où la possibilité de consommer ne s'offrait pas avec autant de facilité qu'aujourd'hui.
Théophile Deyrolles, Le pardon de Méros près Concarneau - Musée de Morlaix
Il s'y vendait , entre autres frivolités, de ces épingles de pardon qui s'apparentent à des broches et que les garçons utilisaient pour faire connaître leur intention à celle qu'ils comptaient épouser. Si l'élue se montrait avec l'épingle accrochée au corsage du côté du coeur, elle signifiait ainsi que la demande avait son agrément. A l'inverse, elle la portait du côté droit pour faire comprendre à l'éconduit... qu'il l'était. A défaut de prendre le mari, la demoiselle n'en conservait pas moins l'épingle comme un petit trophée personnel : certaines arboraient à leur taille un très joli tableau de chasse.
Quand on n'avait plus de message à faire passer, la liberté d'exhiber ses épingles de pardon un peu comme on voulait était tout de même de mise : à la taille... et même dans le dos, comme le démontre si bien cette chipie de paludière !
L'usage des épingles de pardon était fort local, puisqu'il est attesté dans les limites de la Cornouaille et du pays pagan ; un petit débordement par le sud sur le pays vannetais est envisageable, si l'on en croit notre malicieuse paludière. Malgré tout, ces jolies fantaisies étaient un produit d'importation, fabriquées jusqu'en Bohême et peut-être même en Afrique du Nord, comme semblent en témoigner certains ornement très arabisants.
Elles mesurent de 8 à 12 centimètres et sont constituées d'une tige surmontée d'une perle de tête assez volumineuse, autour de laquelle sont attachées des chaînettes elles-mêmes agrémentées de perles de taille plus réduites et de breloques. Ces pendeloques étaient en nombre variable, de une pour les acheteurs les plus modestes et jusqu'à trois pour ceux qui avaient les moyens.
Elles furent vendues par les marchands ambulants à l'occasion des messes de pardon tout au long du XIXème siècle. Puis dans la première partie du XXème, avec l'essor du tourisme, on les proposa dans les magasins de souvenirs, désormais conditionnées en boîte et accompagnées d'une ritournelle renforçant la légende.
... Je lui faisais signe,
Elle ne venait pas.
Je lui offrais des noix,
Elle ne venait pas.
Je lui achetais une belle épingle,
Elle vint alors.
Ai-je bien fait ma mère?
- Oui, mon garçon,
Ton père faisait ainsi avec moi.
(Entendu à Scaër)
Les perles, qui sont le plus souvent en verre soufflé, explosent à la moindre pression ; elles rendent extrêmement fragiles ces belles épingles. Les exemplaires anciens sont rares et je n'ai que ces deux-là dans ma collection ; mais on peut également en voir de beaux spécimens lors des ventes de L'âme bretonne, organisées à Brest chaque mois de juillet.
L'âme bretonne 2014 - jais et verre soufflé
L'âme bretonne 2016 - verre soufflé, jais et ivoire
L'âme bretonne 2017 - verre soufflé
Et si vous avez la chance de vous trouver aux alentours de Pont-l'Abbé, ne ratez pas ça : le musée bigouden propose régulièrement des ateliers pour fabriquer sa propre épingle de pardon ! Si vous avez l'occasion d'y participer, j'espère que vous me montrerez votre production :-)