Tricot estonien
Pas le choix : je suis obligée de revenir sur le tricot estonien que j'ai seulement effleuré au début du mois à l'occasion d'une étourdissante exposition sur les bas de Muhu ; car je crois bien que je suis inexorablement en train de me noyer dans le sujet.
C'est que cherchant à me procurer le catalogue de l'exposition, j'avais été découragée par les frais de port qui dépassaient largement le prix du bouquin lui-même. Bon... ça vient d'Estonie et puis le catalogue n'est vraiment pas cher mais je faisais une sorte de blocage mental. Dans l'histoire, je m'étais tout de même abonnée à la page Facebook de Saara, spécialisée dans le tricot estonien. C'est ainsi que j'ai vu sa promotion sur les deux énormes volumes Estonian knitting 1 et 2 ; c'était le début de ma perdition, d'autant qu'ajouter le catalogue de l'expo par-dessus le tout ne renchérissait pas les frais.
Bref...
... je ne prolonge pas inutilement le suspens, une toute petite semaine plus tard, presque 5 kilos de pure délectation arrivaient sur le pas de ma porte ;-)
Le catalogue, tout d'abord. Etant donné son prix fort raisonnable (moins de 13 €), je m'attendais plutôt à un livret mais il s'agit en réalité d'un livre broché grand format de plus de cent pages et surtout, d'une très jolie qualité d'impression.
En introduction, il raconte l'histoire de ce groupe qui s'est constitué avec la motivation de faire revivre la tradition des bas multicolores de Muhu, le plaisir des rencontres et celui de tricoter ensemble. Suivent ensuite quelques indications techniques sur la construction des bas et même les recettes pour teindre sa laine aux couleurs vibrantes de l'île.
Le catalogue est ensuite consacré à l'essentiel de son sujet, qui est de recenser tous les bas créés pour l'exposition, en présentant chaque paire en photo grand format, avec les motivations de sa tricoteuse. Un véritable festival de quatre-vingt-trois petits bijoux tricotés !
A la lecture des deux volumes d'Estonian knitting, j'ai retrouvé exactement le plaisir ressenti avec Designs and patterns from Muhu Island. J'aime ces méthodes de tricot qui ne connaissent pas les frontières entre inspiration, ancrage dans l'histoire et geste technique : nos ouvrages se nourrissent de toutes ces composantes.
Le premier tome, à vocation généraliste, installe tout d'abord le sujet dans le temps et dans le territoire. L'Estonie n'est pas un pays immense, à peine plus petit que notre Bourgogne-Franche-Comté, mais il est constitué d'une multitude de paroisses qui chacune a ses particularités tricotesques. C'est absolument passionnant de savoir d'où provient chaque pièce présentée. Pour ma part je me suis offert le plaisir d'une première lecture en compagnie du pegman de Google Earth : dépaysement garanti !
Ce premier volume, présente ensuite les outils et les matières puis les techniques utilisables quelle que soit la pièce tricotée.
Chaque pièce ancienne est décortiquée, finement analysée et ses morceaux de bravoure intéressants à repiquer clairement détaillés. Ainsi pour cet émouvant gant à l'état de fragments et son attrayant poignet à base de grains de poivre colorés, cet échantillon de points texturés extrait d'une jaquette provenant de la paroisse de Jamäja ou encore ces nopes soulignant la dentelle d'Haapsalu.
Et ça ! Festons à trous-trous, décors de tresses, rangées d'œillets colorés, dentelle bordant un bonnet de bébé né dans la paroisse de Sangaste et... Oh ! Mais que fait sur un gant tricoté à Paistu cette petite frise conçue pour le point de croix, je la reconnais !
Le livre regorge d'explications techniques, que ce soit pour les bases (comment tenir les aiguilles et la laine) ou les gestes plus pointus, comme ces entrelacs repérés sur un gant de la paroisse de Vigala ; et elles n'éludent pas les points embarrassants, comme par exemple la gestion du nombre de mailles entre les entrelacs et le tricot plat pour que le poignet ne grigne pas.
Vous aurez compris, je pense, qu'avec ce beau bouquin, Anu Pink, Siiri Reimann et Kristi Jõeste offrent aux tricoteuses acharnées une véritable somme de 300 pages.
Anu Pink s'est chargée seule des 384 pages du volume suivant, Estonian knitting 2, entièrement dédié aux chaussettes et aux bas. J'allais dire : il faut avoir envie de tricoter des chaussettes, mais ce n'est même pas vrai, car il recèle moult techniques à piquer pour d'autres pièces.
On y retrouve la même mise en page élégante, les mêmes superbes prises de vue, les mêmes allers et retours entre tradition et mise au goût du jour, la même approche pour les explications techniques.
Ces croquenots transparents ne sont-ils pas les chaussures idéales pour des chaussettes d'artiste ?
Et puis ce qu'à titre personnel je me permets d'apprécier par dessus tout, c'est que les modèles pour mollets replets ne sont pas planqués. D'ailleurs, la méthode pour construire des chaussettes adaptées à chaque morphologie est bien détaillée.
C'est même la caractéristique de ce livre qui pourrait peut-être désorienter les grandes débutantes : on ne nous guide pas systématiquement à travers chaque modèle rang à rang, presque maille à maille comme on peut le trouver ailleurs. Certains modèles sont plus détaillés que d'autres mais souvent, il s'agit davantage d'un jeu de construction pour avancer vers sa chaussette estonienne idéale, en juxtaposant les techniques -montage, talon, diagramme des dentelles ou des motifs, finition aux orteils- qui sont très bien expliquées. Il me semble que tous les éléments sont fournis pour arriver au but mais qu'il faut tout de même faire preuve d'un minimum d'autonomie. Moi, j'adore ;-)
Et vous savez la meilleure ? On nous annonce d'ores et déjà un Estonian knitting 3 qui sera consacré aux gants et aux moufles. 2016 pour le premier volume, 2018 pour le deuxième... ça ne devrait plus tarder pour celui-là, non ?