Merci Merill !
Après les règles de composition avec Sue Stone, le deuxième atelier du Community Stitch Challenge 2021 était consacré aux mots avec Merill Comeau. Facile ! J'ai déjà tellement brodé de texte... Comme ici par exemple, avec le torchon sur lequel j'évoquais les souvenirs d'enfance de ma mère, ou dans cet épisode du cahier avec les mots du ravaudage.
Sauf que... non, en fait, ça n'a pas été simple du tout. Car bien sûr, je voulais me forcer à m'extraire de mon ornière et à broder quelque chose de tout à fait différent de mes inclinaisons naturelles. A mon sens, l'expérimentation est tout ce qui fait l'intérêt de ces défis : sortir de sa zone de confort pour se concentrer sur le chemin plutôt que sur le résultat. Donc cette fois-ci je ne voulais pas broder de ces textes au kilomètre qui racontent une histoire, je décidai de me concentrer plutôt sur un mot unique. Et ce fut le début des ennuis.
Heureusement, j'étais partie sur deux idées sans aucun lien l'une avec l'autre et je ne suis pas parvenue à choisir. J'ai donc réalisé les deux et c'est tant mieux parce que pour la première, j'ai finalement été fort mécontente de moi. Mais j'ai pu me réconforter avec la seconde dont la réalisation me satisfait davantage.
Mon premier projet, a priori le plus immédiatement séduisant, se focalisait sur le support. J'ai une pile de bavoirs anciens attendant une occasion, et j'ai croisé ça avec une anecdote qui m'a fait beaucoup rire lorsque ma mère me l'a racontée : elle avait toujours imaginé que, si elle avait une fille, elle l'appellerait Claire. Je ne sais d'ailleurs pas si c'était tout à fait vrai ou si elle a un peu enjolivé l'histoire justement pour m'amuser, dans la série des Monsieur et Madame ont une fille. En tout cas c'est le souvenir d'un beau fou rire et l'occasion de constater que beaucoup de parents n'ont pas eu les mêmes scrupules :-(
Bref, je décidais de broder le fameux prénom sur mon bavoir, en souvenir de cette rigolade. Et me voilà partie avec un seul objectif en tête, c'est-à-dire pas grand chose : le faire apparaître en négatif dans un environnement bien sombre. Je n'avais toutefois pas envie de broder en noir et je partais sur un dégradé de bleus avec, pourquoi pas, une lune et quelques étoiles dans ce ciel nocturne. Puis très rapidement, je bifurquais sur un unique bleu nuit, en l'occurrence le 3750, pour faire comme une tâche d'encre. Résultat de cette valse-hésitation : un beau pâté !
L'effet tâche d'encre n'était vraiment pas là, j'ai donc essayé de me rattraper en ajoutant quelques éclaboussures... mais ça manquait toujours autant d'intérêt, c'était encore un peu plus moche, et j'ai pensé que le moment était venu d'arrêter les frais. Ce qui me navre c'est que c'est typiquement le projet où j'ai démarré bille en tête, sans mettre mon cerveau en route (oui, je fais ça parfois, et c'est rarement concluant). J'aurais aussi bien fait de prendre quelques heures pour réfléchir un peu à la mise en place de mon ouvrage, avec un papier et un crayon. Chronique d'une déception annoncée... et le chérubin ne m'en a pas sauvée :-)
Heureusement, j'ai trouvé davantage de satisfaction dans mon second projet qui reposait pourtant sur une inspiration bien moins légère. On parle un peu plus de la Commune ces temps-ci avec la commémoration des 150 ans mais je crains qu'elle ne retombe bien vite dans l'oubli, entraînant avec elle sa cohorte de morts, de disparus, de déportés et d'exilés.
J'ai donc saisi l'occasion de ce second atelier pour rendre moi aussi hommage à nos ancêtres parisiens, sortis misérables d'un hiver de siège mais encore résolus à ne pas plier, emportés par l'immense espoir d'une république sociale et, à peine quelques semaines après, engloutis dans une répression d'une brutalité inconcevable. Pour vivre cette période à travers le regard des Damnés de la Commune, je vous conseille ce film éblouissant de Raphaël Meyssan, que vous pouvez encore visionner pendant une quinzaine de jours : le subtil travail d'animation sur les gravures d'époque y est étonnant et je vous mets au défi de ne pas frissonner avec la voix de Yolande Moreau incarnant Victorine Brocher.
Je suis partie de la photographie d'une barricade prise par Pierre Ambroise Richebourg et peuplée de ces fantômes que j'aime tant épier dans les clichés de l'époque ; il se trouve qu'ici, le symbole naissant de ce brouillard de foule était particulièrement percutant.
J'ai imprimé la photo de Richebourg sur un vieux drap de lin un peu glacé qui convient très bien à cet usage. J'y suis tout de même allée de mon petit repentir après un premier essai de broderie sur les lettres qui s'est révélé peu concluant : je n'ai pas été très heureuse en essayant d'y simuler un effet de pavés.
Je suis donc repartie sur des lettres taillées dans une cotonnade rouge, appliquées avec un point un peu foutraque qui produit comme un effet de cicatrice. Cette expérimentation-là, je l'aime, avec le mot qui s'incruste comme une balafre dans l'image. Pour l'année, j'ai simplement rempli les caractères au point de tige fendu.
Après ces résultats diversement satisfaisants mais qui n'ont pas cassé mon enthousiasme pour la démarche, me voilà en route pour le troisième défi. C'est celui de Jennifer Collier qui nous propose de croiser patchwork et papier. Je pense que ce sera pour moi le plus léger, le plus facile et le plus plaisant... au moins celui qui me met le moins en danger.
Et si je me trompais ?