Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ouvrages de Dames
1 août 2021

Le carnet de Jean Fick

Brut, populaire, autodidacte, naïf, primitif… l'art des artistes qui n'en sont pas résiste à l'étiquetage. Et par-dessus tout, il résiste aux pathétiques tentatives d'analyse et de récupération.

Ce pied de nez n'est que justice. Il reste une œuvre qui nous parle ou pas, qui nous remue ou pas. Il reste une émotion qu'il est parfois difficile de s'expliquer. Et c'est tant mieux qu'on ne parvienne pas à la mettre en cases, ni même à la décortiquer.

FICK_1-1

En vérité, je me suis arrêtée sur le carnet de Jean Fick découvert sur le mur de Lena Young parce qu'au premier regard, j'ai cru deviner un recueil d'échantillons de tissus. Quand je me suis rendu compte de mon erreur, j'étais déjà inexplicablement happée par cette juxtaposition de couleurs et de textes.

Ce n'est donc pas un cahier d'échantillons. Cet unique fragment retrouvé de la production de Jean Fick a été présenté, en 2018, à l'exposition de l'American Folk Art Museum Vestiges & Verse : Notes from the Newfangled Epic

FICK_1-2

C'est un petit carnet qui tient dans la main mais où se bousculent, s'entassent, se superposent quasiment les mots et les images, si bien qu'on ne sait plus s'il s'agit de mots mis en couleurs ou d'images chiffrées. Jean Fick invente son propre système d'écriture, suivant une logique toute personnelle, condamnant ainsi l'accès à ses pensées les plus intimes. S'exprimer avec l'assurance de n'être pas compris : la plus grande des douleurs, le plus désirable des refuges ?

FICK_1-3

Il parait qu'on ne sait rien de Jean. Cependant son carnet nous livre des indications factuelles et précises permettant, sans grand effort de recherche, de recoller des bribes de sa vie.

Quand il naît à L'Hopital en 1876, la Moselle est allemande depuis cinq ans. Il y exercera le dur métier de mineur et le moment venu, c'est donc dans l'armée allemande qu'il sera enrôlé en 1914. Revenu sous le drapeau français au gré d'une géopolitique erratique, il est définitivement réformé en 1921 ; car cette année-là, il est déjà aliéné interné, probablement à l'hôpital psychiatrique de Lorquin où il mourra en 1958, à l'âge de 81 ans.

Matricule JeanFiche matricule de Jean Fick - Source : archives départementales de la Moselle

Victime d'une ancienne blessure du crâne qui le laisse dans une confusion mentale chronique, Jean est certainement un de ces rescapés qui ont douloureusement survécu à l'absurdité de la première guerre mondiale, plus absurde encore pour les gens de l'Est ballottés entre deux pays ennemis.

FICK_1-4

Dans les années quarante où se situe son carnet, il est donc coupé du monde depuis de longues années déjà. Cependant, il sait parfaitement retranscrire les dates qui jalonnent l'histoire familiale : la naissance et la mort de son père, Jean, ainsi que de sa mère Madeleine, la naissance de ses quatre petits frères arrivés à l'âge adulte, Henri, Nicolas, Jean Louis et Gaspard. Il se rappelle aussi très bien qu'il s'est marié en 1902 avec Marie et qu'ensemble ils ont eu quatre enfants avant que cette fichue guerre ne le laisse sur le carreau.

Adolf WölfliAdolf Wölfli

Charles A A Dellschau

Charles A A Dellschau 2Charles A. A. Dellschau

Ces symboles indéchiffrables, cette communication impénétrable prennent place dans l'exposition Vestiges & Verse au milieu d'œuvres qui, toutes, parlent de l'urgence de créer. Elles suscitent surtout une furieuse envie d'envoyer valser tout ce que nous croyons ne pas savoir pour prendre couleurs et crayons afin de remplir des pages et des pages de carnets.

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Merci Sylvaine pour ce partage et cette découverte atypique.
Répondre
M
Cet art brut est émouvant. Merci pour ce partage.
Répondre
F
Quel beau travail et quelle émotion;
Répondre
A
Bonjour,<br /> <br /> Magnifique art brut,une découverte formidable, une façon pour lui de s'exprimer naturellement je suppose. Bonne semaine
Répondre
M
Tant de douleurs exprimée dans ce petit carnet aux couleurs si gaies : quel paradoxe !
Répondre
N
Merci de partager avec nous cette belle découverte dans ton article passionnant...pauvre homme, broyé par cette guerre qui n'avait rien d'une "grande"...<br /> <br /> Quand on sait ce qu'étaient les asiles psychiatriques à l'époque, on ne peut que frémir...<br /> <br /> Belle journée, bises
Répondre
C
Merci pour cet article passionnant ! Ça m'a fait repenser au film "Aloïse", qui m'a fait découvrir l'Art brut à travers l'histoire de Aloïse Corbaz, figure emblématique de cet art. L'histoire, tout autant que l'interprétation de Isabelle Huppert et Delphine Seyrig, m'avait marquée et je recommande à tous de le voir si vous en avez l'occasion.
Répondre
N
Bonjour,<br /> <br /> Tout ce travail coloré/serré me fait penser à une lecture concernant les femmes qu'on enfermaient dans des asiles lorsqu'elle n'étaient pas assez "domptables" par les familles qui les oubliaient ! J'y vois une grande misère...
Répondre
D
J'y vois un calendrier (on voit nettement les initiales des jours et les dates) et peut être tout simplement il illustre la météo avec ses codes couleur (en fonction de celles sa disposition) pour définir températures, vent,ensoleillement...
Répondre
S
Très émouvant, on aimerait connaître la vie, les pensées de cet homme. Mais finalement le mystère est encore mieux. En tout cas j’aimerais crayons de couleur en main, résumer ma vie dans un carnet, il n’y aurait que moi qui comprendrait...<br /> <br /> On a vite fait de classer les gens différents dans la catégorie des aliénés. <br /> <br /> Je ne sais pas pourquoi cette histoire me fait penser au facteur Cheval.<br /> <br /> Merci Sylvaine.
Répondre
C
très émouvant.....<br /> <br /> corinne74
Répondre
E
voilà un univers codé, coloré, secret ....tout pour plaire !<br /> <br /> Motifs et teintes offrent de la délicatesse et de émotion <br /> <br /> Belle découverte en partage, encore une , merci Sylvaine
Répondre
M
Que dire d'une telle oeuvre je pense à l'Art Brut au sens que donnait Jean Dubuffet "productions de personnes exemptes de culture artistique"
Répondre
J
Magnifiquement résumé, qu'est-ce que l'art???<br /> <br /> Bravo pour cette découverte, quand on parle des gesn ils ne sont pas complètement morts...
Répondre
G
Bonjour Sylvaine<br /> <br /> Merci de cette découverte. De quoi, se poser des questions qui resteront sans réponses . Un univers impénétrable où chacun s'exprime à sa façon, avec ce qu'il a. Une belle volonté de ne pas rester enfermer dans un monde qui leur échappe . <br /> <br /> Bon Dimanche avec un ciel qui se couvre. Gros bisous.
Répondre
M
Beau et émouvant témoignage d'une époque !<br /> <br /> Merci pour cette découverte.<br /> <br /> Doux dimanche, bisous
Répondre
I
MERCI<br /> <br /> Il y a de si terribles destins ! j'admire toujours ce travail de recherche... et je me dis que ce matin c'est pour me faire reflechir que votre article a été soumis à ma lecture ... <br /> <br /> meme si chaque dimanche je suis attentive à votre blog. Vous savez si bien explorer et restituer ! <br /> <br /> Bonne semaine , Sylvaine.
Répondre
L
Très émouvant, merci de nous avoir décrypté ce carnet. Je suis toujours étonnée de tous les détails que vous savez trouver. Admiration
Répondre
N
MERCI pour "ces oeuvres impénétrables" qui génèrent beaucoup d'emotion a nous toutes qui avons eu des aieuls victimes de cette effroyable guerre! la façon de survivre, de raconter interpelle de nos jours......... quel aurait été le destin de cet homme dans notre époque??? on ne peut s"empecher de se poser la question tellement on sent sa volonté de s'exprimer!!<br /> <br /> Sylvaine vous êtes unique pour nous sortir de nos chemins habituels<br /> <br /> Bon dimanche et encore merci p/toutes ces trouvailles qui nous font "gamberger"
Répondre
F
L’émotion dans ce carnet et vous savez transcrire vos impressions.<br /> <br /> Merci de cette découverte.
Répondre
P
Effectivement ,ces carnets réveillent une furieuse envie…<br /> <br /> Comme Flora Groult a nommé un de ses romans :«une vie ,ce n’est pas assez»
Répondre
P
Merci de nous donner à voir ces oeuvres étranges qui sortent des cadres habituels et sont porteuses d'une formidable émotion : "inexplicablement" happée", tu as trouvé les mots justes... Belle découverte pour moi.
Répondre
M
Merci pour ce magnifique partage très émouvant, j'en ai les larmes aux yeux.<br /> <br /> Bon dimanche
Répondre
M
J’aime tout simplement
Répondre
A
Effectivement , très émouvant et ces écrits et dessins interpellent ...
Répondre
S
Quelle belle et émouvante découverte ! De l'art brut miniature en quelque sorte. Que d'énergie transposée sur le papier. <br /> <br /> Merci Sylvaine.<br /> <br /> Sabine des Hautes-Alpes
Répondre
L
Merci de partager ce carnet et de sortir de l'oubli cette personne. Les dessins , les couleurs sont beaux. Ils me font penser à des tissus ethniques. bonne journée
Répondre
Vous voulez lire Ouvrages de Dames sans pub ?
Ajoutez Ublock Origin
à votre nagigateur.
Publicité

qr-code-linktree 200

 

Newsletter
Publicité