Arc-en-laine
Je reste dans l'échantillon cette semaine : après celui des pensées les plus intimes de Jean Fick dimanche dernier, voici le nuancier des couleurs employées à la manufacture des Gobelins au XVIIIème siècle.
source : Gallica
Il est largement commenté et les textes y sont un enchantement autant que les couleurs. On y parle tartre vitriolé, brou de noix et albâtres, degré tonique ou coloré, acide nitreux, prisme newtonien, couleur bleue du firmament et lumière du soleil, rouge obscur et blancheur de la peau, rayon jaune, bois d'inde et gris d'architecture,
On y emploie des mots mystérieux, encore en usage ou tombés en désuétude comme réfrangibilité, phlogistique ou principes tittoresques.
Si vous recherchez les bonnes méthodes pour teindre en rouge, sachez que l'orseille dans son état de simplicité est un mauvais produit. On ne nous dit pas pourquoi, c'est comme ça. Même lavé et rosé avec les alcalis, même si on a ajouté sur les molécules colorantes de l'alun pulvérisé, non, n'insistez pas ! D'ailleurs, même si la laine a préalablement reçu le tartre vitriolé, ces couleurs n'ont point de solidité. Ça semble s'améliorer cependant quand l'orseille est traitée avec la composition d'écarlate : au moins le produit est solide.
Si vous vous posiez la question, l'orseille est un lichen
Ils sont pourtant nombreux, ceux qui se sont par la suite attachés à améliorer les procédés, comme en témoignent les brevets d'invention déposés tout au long du XIXème siècle. Ça commence en 1809 par les frères Bourget, Nicolas Fleury (ça ne s'invente pas !) et Jean Marie, qui entendent retirer de l'orseille de terre d'aussi belles couleurs que de l'orseille des Canaries. Ils font valser le ponceau, le cerise, le cramoisi, l'amaranthe, le violet, le lilas et le gris de lin... encore une immersion dans la couleur !
Brevet Bourget – Source : INPI
Et ça passe par la Demoiselle Eugénie Séraphine Lefranc en 1844 que je ne pouvais ignorer, la présence féminine étant tellement marginale dans les brevets du XIXème siècle ! Elle se fait fort de fabriquer par son procédé une orseille pure et universelle. On a encore James Robinson avec son perfectionnement dans la fabrication de l'orseille & de la couleur violette dite Prune de Monsieur.
Mais puisque les teinturiers des Gobelins tiennent l'orseille en piètre estime, suivent leurs solutions à base de garance qu'ils traitent de toutes les manières possibles : avec esprit de sel ou de nitrite, solution d'écarlate ou huile de vitriol, j'en passe et des plus étonnantes encore. Puis la cochenille, combinée ou pas à l'écarlate, avec ou sans arsenic, avec ou sans argent…
Bref, ça n'en finit pas et nous n'avons toujours pas dépassé les rouges. C'est un régal de se balader dans les mots mystérieux et virevoltants de ce qui me parait être un traité d'alchimie. Hermétique mais si musical à l'oreille…
On passe ensuite aux jaunes avec les gaudes s'échappant vers les bruns en combinaison avec le brou de noix ou les orangés avec la garance, les bleus de l'indigo… je n'en finirais pas de tout détailler ! Baladez-vous dans les cent trente pages de ce nuancier, elles sont un parcours enchanteur au milieu de la couleur.
Pour conclure, j'ai une requête : y a-t-il parmi vous une latiniste pour traduire ce qui semble être une devise et qui figure sur la jolie gravure accompagnant les bas de pages ? Je suis curieuse, comme vous vous en doutez :-)
Conficit opus studio et arte scientia excolit animum, cupidus artis
Merci Pascale et Michèle pour ces deux propositions qui se rejoignent et qui me plaisent bien :
- Celui qui est passionné d'art (cupidus artis) éprouve le besoin d'étudier l'art et la science et de cultiver son esprit (excolit animum)
- Celui qui est passionné d'art, achève son ouvrage grâce à son goût pour l'art et embellit son esprit grâce à sa science/ technique/ savoir faire.