Album de famille {2}
Je progresse en désordre dans mes photos de famille ; en désordre chronologique, tout du moins, car je n'ai évidemment pas résisté à commencer par celles qui m'inspirent immédiatement. Repousser le plus délicat pour la suite, je ne suis pas sure que ce soit la méthode idéale mais comme je n'ai finalement que vingt photos à retravailler, je me dis que j'en trouverai toujours assez pour susciter à la fois l'envie de les interpréter et de nouvelles idées de broderie.
Pour cette deuxième série, j'ai donc pioché dans nos photos d'enfance, gardant la génération des grands-parents pour plus tard. La difficulté est toujours de trouver des photos de mon père ; comme c'était lui le mitrailleur compulsif, on ne le trouve pas souvent de l'autre côté de l'objectif.
Défi relevé pour cette fois-ci où je voulais représenter le premier cercle que nous formions à tous les quatre. Mon choix s'est arrêté sur une photo de mon père distrayant avec des peluches mon frère âgé de quatre mois. Je trouve qu'elle dialogue assez bien avec celle de ma mère m'allaitant alors que j'avais sept semaines.
J'ai hésité à me lancer dans les cœurs qui font toujours un peu cucul mais ce symbole de les relier par un fil s'est vite imposé, bouchant la voie à tout autre idée. Les cœurs, donc.
Au départ, j'avais laissé de la place dans le haut de l'image pour y placer des étiquettes où seraient brodés nos prénoms. Puis en laissant courir mon aiguille sur l'image avec le Mickey, j'ai repensé à un de mes plus lointains souvenirs d'enfance. Étant petit garçon, mon père avait été très impressionné par Fantasia, le dessin animé de Disney. Il voulait donc absolument nous le faire voir mais il ne fallait pas espérer qu'il soit reprogrammé à Reims plus de vingt ans après sa sortie.
Ce fut donc l'occasion d'une expédition en train pour la capitale. Aller à Paris juste pour un spectacle, quel moment hors du commun ! Après un pique-nique dans un square de Montmartre, nous redescendimes vers les boulevards et la salle du Grand Rex. Je me rappelle qu'avant la projection, il y avait une première partie avec des petits numéros d'illusion. Mais surtout, le plafond de l'immense salle de cinéma représentait un impressionnant ciel rempli d'étoiles scintillantes qui aurait, à lui seul, suffit à nous faire patienter. Nous étions bouché bée, la tête renversée en arrière, un peu soulés par le tourbillon d'émotions de cette journée et oubliant tout le reste !
J'ai donc changé mon fusil d'épaule en faveur de ce souvenir-là et j'ai sorti des réserves mon plus beau fil doré pour semer au dessus de nos têtes les étoiles du Grand Rex.
Les points de nœud qui les figurent sont piqués sur une impalpable résille métallique issue d'un sachet ancien. Les cœurs sont brodés au point lancé avec un brin de mouliné et les fils qui les relient au point arrière surjeté avec un très fin fil de soie déroulé d'une vieille bobine de filature.
Au bout du compte, mes cœurs sont peut-être un peu mièvres mais j'en suis très contente, ils représentent bien ce que j'avais en tête avec ces deux photos. Quand une idée parait évidente et banale, il ne faut pas toujours refuser de sauter dedans à pieds joints !