La dentelle à Retournac
Or donc, j'étais la semaine dernière en Auvergne où nous avons visité le musée des Manufactures de Dentelles de Retournac. Porté par la ville et bénéficiant de l'appellation "Musée de France", ce beau projet a trouvé sa place dans l'ancienne manufacture de dentelles Experton. Le bâtiment, construit en 1913-1914, a été sobrement complété par des espaces vitrés qui n'ont en rien altéré son caractère industriel. Je suis toujours admirative de voir des communes de taille limitée s'engager ainsi dans la mise en valeur de leur patrimoine et faire de vrais choix pour préserver la mémoire des lieux et des hommes. Il en va certes de leur identité, mais il n'en reste pas moins courageux de soutenir des projets culturels d'envergure dans cette période où les collectivités resserrent leur budget.
La visite commence à l'étage avec une histoire européenne de la dentelle depuis le XVIème siècle. Je le confesse : je ne suis pas tellement sensible à la dentelle. J'apprécie bien sûr la finesse du travail, la prouesse technique, les heures passées à l'ouvrage, mais je n'y retrouve pas ce que j'aime tant dans la broderie : le sens, les vies qui se racontent et les histoires qui passent à travers les fils. Cependant les pièces présentées à Retournac sont d'une qualité telle qu'il est bien difficile de ne pas baver d'admiration devant chacune des vitrines.
Ça par exemple, c'est du gros point de Venise. Gros point... ben voyons ! Ce volant, qu'on présume exécuté en Italie, est en lin et daté de la fin du XVIIème siècle.
Quant à cette autre pièce exceptionnelle (mais elles le sont toutes...), c'est du point de Sedan et elle a été réalisée sous Louis XIV.
Des tableaux, des catalogues, des vieux papiers complètent les dentelles et animent la scénographie. J'étais un peu chez moi dans cette partie de l'exposition, puisque j'ai particulièrement craqué devant la Marchande de dentelles de Gabriel Grely... avant de réaliser qu'il s'agissait d'un dépôt du musée des Beaux-Arts de Dijon ;-)
Source : la base Joconde
Après ce premier espace consacré aux pièces de dentelle proprement dites, on passe à ce qui m'a vraiment ravie : la vie des dentellières, leur quotidien (rude), leurs outils, les us et coutumes de la première moitié du XXème siècle. Le tout est raconté à travers la parole recueillie auprès des ouvrières du carreau, c'est touchant et en même temps terriblement instructif. Car sans vouloir faire de raccourcis trop faciles, la mise en perspective de certains de leurs témoignages les plus terribles avec la société de consommation d'aujourd'hui et la perpétuelle insatisfaction qu'elle génère est réellement cruelle pour notre comportement d'enfants gâtés...
Moi je voulais aller à l'école, je voulais être institutrice, mais c'est que mon père m'a dit : - Quoi ? toi tu irais te promener à Sarlanges à l'école et moi j'irais garder les vaches ! Ça fait que j'y ai plus été.
Y'avait un colporteur. Il avait une petite voiture à cheval avec des casiers. Oh moi j'aimais les voir venir, y'avait des jolies affaires là ! Et il portaient des aiguilles, du fil, des épingles de sûreté, des lacets à soulier, des rubans, tout un tas de machins.
Ma mère nous habillait avec l'argent de la dentelle, on était un peu de celles qui étaient bien habillées. J'ai jamais porté des sabots, j'avais des galoches montantes à ce moment-là pour aller à l'école.
Les sabots. Et moi je trouvais qu'ils s'usaient pas vite ; avec un couteau, je faisais un trou pour qu'ils s'usent plus vite, là j'étais maligne va, parce que j'en voulais des neufs !
J'ai gagné mon trousseau avec l'argent de ma dentelle. J'ai acheté la toile pour faire des draps et puis des chemises de corps et des serviettes.
A douze ans, c'est ma marraine qui m'avait acheté mon carreau, j'étais un peu fière avec ce carreau !
Nous descendons ensuite au rez-de-chaussée pour prendre un vrai coup au coeur en pénétrant dans le grand atelier, sur le lieu même, bien reconnaissable, où s'activaient, au début du siècle dernier les échantillonneuses, les apponceuses et les ouvrières au préparage. On retrouve jusqu'aux casiers figurant sur cette vieille carte postale, et même l'escabeau, il me semble.
Ici est retracé le fonctionnement des manufactures de dentelles et tout le processus de fabrication. C'est passionnant et c'est le paradis des collectionneuses, vous pouvez me croire ! Que de belles choses on peut y voir, j'étais fin folle ;-)
Et toujours la parole des ouvrières de la dentelle, drôle ou émouvante, souvent les deux à la fois...
La visite se termine au rez-de-jardin où ont été conservées des machines qui servaient, il n'y a pas si longtemps, pour la fabrication des dentelles mécaniques. Ces métiers, produits au début du XXème siècle, étaient encore en fonctionnement il y a une vingtaine d'années.
Vous aurez compris, je l'espère, que c'est là une merveille de musée qu'il ne faut surtout pas manquer de visiter. Il mérite à coup sûr que vous fassiez un détour sur la route des vacances ou que vous prolongiez une halte dans la région de Retournac.
Et puis, pour compléter, le tout... attention, pépite ! Prenez un petit quart d'heure pour aller regarder sur le site de l'INA ce documentaire de 1978, je vous mets au défi de ne pas vous prendre une bonne rigolade en même temps que les trois mamies terribles de Montusclat (la Sainte Vierge qui descend sur terre juste pour prédire que les pommes de terre vont se pourrir, c'est excellent ;-) Mais au-delà, il y a tant de choses à entendre dans le récit de ces dentellières d'une autre génération...