Les anonymes de l'été {2}
Beaucoup de mes vieilleries sont des trouvailles chinées en voyage, dans des contrées proches ou lointaines. C'est une des raisons pour laquelle j'aime particulièrement l'anonyme d'aujourd'hui : il est le souvenir d'une grande matinée passée aux puces de Madrid, couronnée par un chocolate con churros dans un bar très couleur locale. Partie tôt, seule pour ne pas réveiller les amis chez qui je logeais, il avait bien fallu que je me débrouille avec un espagnol inexistant dont je ne connaissais que les quelques mots de courtoisie indispensables à une vie sociale élémentaire.
Révéler la touriste qu'elle est, la pire des situations pour une chineuse ? Pas à Madrid ! Que de gentillesse, d'efforts pour essayer de me comprendre en français, de cris pour appeler en renfort la personne qui servirait de truchement... Et finalement je m'étais fait plaisir en entamant à peine ma cagnotte-brocante, personne n'ayant essayé de profiter de la situation.
Ce tout petit rouge, plus que probablement d'origine espagnole [pas sûr, regardez les commentaires : il y manque des lettres typiques de l'alphabet espagnol], est donc chargé de souvenirs pour moi. Il y a d'autres raisons qui me font l'aimer ; je crains que ce ne soit difficile à rendre en photos, mais il est d'une extraordinaire finesse. Je peux essayer de vous la restituer par ses dimensions : il fait 18 centimètres de côté, ce qui n'est pas grand chose pour loger neuf alphabets et le petit bout d'un autre. La délicatesse de la toile peut aussi vous donner une idée : elle titre 24 fils au centimètre !
Et puis ce petit chiffon brodé de rouge est un mystère. Il a visiblement été coupé, ce dont témoignent son angle supérieur gauche débutant par la fin d'un alphabet et l'absence totale de marges tout autour. Mais il est cependant méticuleusement doublé à petits points, avec un soin qui va jusqu'à la bouffigue aménagée à droite des deux premières lignes pour ne surtout pas amputer les S qui les terminent.
Bref, tel qu'il est, biscornu, chiffonné, rescapé, presque ordinaire si ce n'était son extrême finesse... je l'aime.
Il est indissociablement lié à une autre trouvaille de ce jour-là : une machine à coudre marquée en partie haute Rico (le nom du fabricant de ces jouets, je crois) et Singer sur le piètement. Un souvenir de plus : j'avais fini la matinée en me baladant avec le fragile jouet de tôle à la main, de peur de l'écraser dans mon sac où je n'avais pas de quoi le protéger. Le temps de finir ma balade et d'arriver au chocolat, j'avais été arrêtée dix fois pour le faire admirer... et je l'aurais revendu presque autant !