Les anonymes de l'été {5}
Comme je ne sais rien de mon anonyme d'aujourd'hui, je ne peux même pas en cerner le mystère et je me contente de l'admirer. Il me pose en revanche un grave problème ; mes compétences très lacunaires en matière de photographie ne me permettent absolument pas de restituer son délicat modelé. J'ai presque hésité à vous le montrer tant mes photos lui rendent peu justice :-(
Mais pourtant, je dois tirer de l'oubli le travail d'Émilie, il est si beau ! Émilie K, donc, c'est tout ce que nous saurons de la brodeuse : son prénom et l'initiale de son nom. On peut extrapoler qu'elle est née vers 1860, car la dextérité de ce travail d'étude, réalisé en 1875, dénote plutôt une grande adolescente qu'une fillette. En me hasardant un peu plus, je suppose qu'elle était originaire de l'est de la France. Je penche pour l'Alsace, vers laquelle me dirigent à la fois le style du marquoir, le prénom français et l'initiale du nom.
Et c'est tout ! Pour le reste, admirons... J'aime la logique de construction de ce marquoir de broderie blanche, si proche de celle des alphabets rouges au point de croix : d'abord trois alphabets, du plus simple au plus ouvragé, et une série de chiffres. Ici Émilie a brodé un alphabet de lettres anglaises au plumetis, au point de noeud et au point arrière surjeté ; puis un alphabet de lettres gothiques tout au plumetis ; et enfin un grand alphabet, toujours gothique, mais avec davantage de fantaisie : le plumetis est interprété selon des modèles différents en blanc ou en rouge, il est parfois cerné en couleur au point arrière. Certaines lettres sont brodées, comme dans le premier alphabet, au point arrière surjeté en rouge ou en bis.
Après les alphabets, Émilie passe aux monogrammes, ses propres initiales au centre, à droite, LK... celles de son père, dont elle porte le nom ? Alors à gauche, AB, ce pourrait être celles de sa mère ? Cette interprétation est vraiment échafaudée sur le sable... Ce qui est sûr c'est qu'elle a déployé tout son goût dans le choix des modèles et tout son talent dans leur broderie. Le K notamment, entièrement constitué d'oeillets avec seulement quelques touches de plumetis, est magnifique !
L'exercice des lettres est terminé ; Émilie se laisse alors aller à des motifs fleuris en montrant, ici encore, toute sa dextérité : plumetis, point de sable, cordonnet, broderie anglaise, incrustation de tulle, barrettes et point de feston..
Et pour finir, elle clôt son ouvrage par les festons de la bordure dont les quatre côtés sont différents. C'est à nouveau pour elle le sujet d'un exercice avec des festons pointus, arrondis ou entrelacés, toutes sortes d'oeillets rebrodés de différentes manières et en bas, une belle guirlande de broderie anglaise.
Si vous avez aimé le marquoir d'Émilie, je vous signale ce charmant livre japonais qui regorge d'idées et d'exemples pour pimenter la broderie blanche par des pointes de couleur. Il date déjà un peu, mais vous pouvez peut-être tomber dessus dans les occasions.