Après 2019 : le cahier {7}
Avec l'exercice de ce mois-ci, nous sacrifions à la mode ; car les trous et les reprises, c'est très hype, ma chère :-) Je passe sur le ridicule achevé des vêtements neufs vendus pré-troués ; je les regarde cependant d'un oeil attendri, en souvenir de mes propres outrances vestimentaires à l'adolescence. Mais le raccommodage lui-même, qui se devait d'être le plus discret possible, s'expose désormais pour devenir décoratif et quasiment un moyen d'expression, l'avez-vous remarqué ?
Puisque la réutilisation des objets est dans l'air du temps, on affiche en vedettes des vêtements rapiécés et consolidés par toutes sortes de reprises colorées. En vérité, on devine bien que le plus souvent, ce raccommodage de coquetterie est réalisé sur des vêtements sans trous, juste pour la beauté du geste :-) Qu'importe, puisque sur tout ce mouvement souffle l'esprit de la récupération et souvent une bonne dose d'humour.
Ainsi en est-il par exemple de Jeannet Leendertsennet, retenue dans le top 30 des projets présentés au challenge 2017 du Rijksmuseum : elle avait proposé une déclinaison, sur des supports modernes, d'un des reprisoirs conservés par le musée...
... ou de Jude Hill, de Spirit Cloth, avec ses vêtements piécés et repiécés jusqu'à en faire émerger une poésie inattendue. Mais je me suis obligée à une très courte sélection et je pourrais vous en signaler bien d'autres.
Afin d'appréhender un peu mieux ce raccommodage moderne qui s'extirpe du modeste travail de l'ombre pour devenir créatif et joyeux autant qu'utilitaire, ne manquez pas de visiter le blog de Camille ; elle lui redonne tout son sens en le plaçant dans une démarche de consommation responsable. Résiste ! Prouve que tu reprises !
Et puis à contresens de tout ce qui précède, on ne peut que rêver devant la méthode fascinante présentée dans cette vidéo ; elle noie la pièce dans le tissu à réparer au point de la rendre insoupçonnable. Je pense qu'il s'agit de la technique décrite par Thérèse à la rubrique Pose d'une pièce avec des fils coulés mais ne m'en demandez pas plus : je n'ai pas encore compris comment une pareille magie était possible.
J'ai un instant envisagé de tester cette manière de poser les pièces... un instant seulement !
Un peu de sémantique
Raccommoder, c'est réparer toutes sortes de choses. On raccommode la porcelaine ou les chaussures, on raccommode même deux personnes l'une avec l'autre, c'est dire si le terme est générique ! On raccommode le linge, évidemment, avec une déclinaison en deux techniques principales : la reprise et le rapiéçage.
Repriser, c'est consolider un support fragilisé ou carrément le remplacer aux endroits où il a disparu. Pour que la reprise soit invisible, il s'agit de recréer le tissu à l'aiguille, en utilisant le point avant et en imitant au plus près son armure d'origine ; cela donne lieu, sur les échantillons anciens, à moult exercices de haute voltige.
La reprise peut s'exécuter en renforcement, quand la toile est juste affaiblie mais qu'elle existe encore : on prend alors la précaution de la soutenir pour éviter la survenue du trou fatal. Mais parfois c'est trop tard, le but de la reprise est alors de recréer le morceau de tissu manquant.
Quand elle n'est plus possible parce qu'il manque vraiment trop de toile, il faut passer aux grands moyens. Rapiécer -Thérèse dit encore rapiéceter- c'est poser une pièce, si possible avec le même tissu que la toile de fond, et en raccordant les motifs. Là encore, le but c'est que la pièce se fonde dans le vêtement : un raccommodage qui se voit, ça fait pauvre !
Encyclopédie des ouvrages de dames - Source Gallica
Sur le tricot, on reprise également mais on utilisera de manière plus précise stopper, qui permet d'éviter que les mailles ne filent davantage, puis remmailler quand on attaque véritablement à remplacer la matière.
Toutes ces réparations, on les exécute avec plus ou moins de dextérité... et probablement avec plus ou moins de coeur à l'ouvrage. Quand le travail est plus approximatif, ou exécuté sur du linge qui ne le valait guère, alors on ravaude ou on rapetasse.
Dictionnaire de l'académie française 1777 - Source Gallica
Notez que l'académicien vole bien trop haut pour s'occuper du linge, sinon il saurait que le ravaudage a fort peu de chance de constituer un amusement :-( Thérèse est bien plus réaliste en parlant de travail ingrat mais nécessaire.
Nos ressources sur le raccommodage
Je n'ai pas de livres modernes à vous conseiller pour ce qui concerne purement la technique. Mais je vous signale tout de même la publication de Joke Visser, Oefenstof, qui passe en revue beaucoup de reprisoirs anciens et constitue de ce fait une belle source d'inspiration.
En revanche, peu de manuels de couture anciens font l'impasse sur le raccommodage ; vous pouvez déjà aller consulter, en ligne sur Gallica, ce que Thérèse de Dillmont raconte sur le sujet. De mon côté, j'ai fait l'inventaire des manuels présents dans ma bibliothèque et j'en ai extrait un florilège spécial raccommodage ; je le ferai passer dans la journée à toutes celles qui font leur cahier avec nous.
Dans le domaine des reprises, les ouvrages anciens constituent la meilleure source d'inspiration pour tous leurs échantillons faciles à imiter. Vous trouverez des images en bonne définition sur plusieurs sites de musées, notamment le Met ou le Cooper Hewitt. Mais la plus belle qualité d'image est celle avec laquelle le Rijksmuseum met ses reprisoirs à disposition Je vous les ai regroupés ici, dans mon Rijksstudio.
Pour terminer, je vous renvoie à Nederlandsgebreid, ce site hollandais que je vous avais déjà signalé pour le tricot : il décortique quatre anciens exercices de reprises et met à votre disposition leurs échantillons sous forme de grilles.
Mon exercice
Je suis partie dans mes élucubrations du mois en me fixant pour challenge de m'attaquer à ce que je n'avais jamais expérimenté : la pose de pièces et les vraies reprises, celles qu'on réalise sur des trous. Autant l'avouer tout de suite, je n'ai pas vraiment l'intention de m'en servir dans la vie réelle ; mais je suis intriguée depuis longtemps par ces exercices figurant à longueur de pages dans les vieux cahiers de couture, alors l'occasion était trop belle de m'y frotter.
Côté échantillons, j'ai donc fait un tour d'horizon des différentes techniques : reprises de renforcement et reprises de remplacement, pose de pièces au point de surjet ou à coutures rabattues, pièces à deux ou à quatre coins, rondes ou carrées et deux essais de reprises au point de feston.
Ce que j'en retire, c'est un immense respect pour toutes les petiotes qui ont posé des pièces à longueur de cahiers. Que ce soit au point de surjet ou à coutures rabattues, c'est assez la galère et Thérèse a raison : ce n'est pas du tout marrant à faire :-( J'ai donc rapiécé tous azimuts ; je me suis même lancée dans une pièce ronde mais au surjet seulement, car j'ai calé à faire la même chose à coutures rabattues.
Bref, un grand coup de chapeau à nos petites ancêtres ! Pour ce qui me concerne, j'en ai soupé pour tout le reste de ma vie.
J'ai pris bien plus de plaisir à explorer les reprises. Elles sont brodées avec un cordonnet de soie Gütermann vintage, sur de la toile de lin titrant 14 fils. Cette boîte de soies chatoyantes me faisait de l'oeil depuis longtemps ; j'ai donc combattu le dramatique syndrome du "oui mais si je l'utilise, je ne l'aurai plus" et je l'ai déniappée en me disant que mon cahier le valait bien.
Sur toute la ligne du bas, je ne me suis pas trop fatiguée en me limitant aux reprises de renforcement. Ce sont les reprisoirs hollandais du Rijksmuseum qui m'ont majoritairement fourni des armures plaisantes à reproduire. L'idée d'inclure des lettres dans les reprises vient du bouquin de Joke Visser que je vous ai signalé plus haut.
Je me suis tout de même fendue de trois reprises entièrement retissées sur un trou, et je le prouve en vous montrant l'envers :-) Finalement le plus compliqué de l'affaire, c'est de choisir des titrages de toile et de fil compatibles pour que la partie retissée soit bien remplie sans pour autant faire un effet de bourrage.
Pour ma page de gauche, je ne saurais dire à quel moment ça a dérapé, mais très vite, je crois. J'avais dans l'idée de faire des essais de reprises et de rapiéçage un peu en vrac, sur de vieux devantiers à bout de souffle déjà utilisés pour vêtir l'ourse Gaspardine.
Mais dès que j'ai commencé à les couper, je me suis prise à rêvasser sur ces accidentés du labeur et sur celles qui avaient tant trimé, protégées par les tabliers bleus. Soudain il m'a semblé sacrilège de vouloir cacher ces blessures et je me suis au contraire amusée à tourner autour avec mes petits points, pour les mettre en valeur plutôt que de les effacer.
J'ai saisi l'occasion pour recenser ces jolis mots de la réparation et du linge usé qu'on ne parvient pourtant pas à jeter. Vous aussi vous aimez d'amour un vieux t-shirt plein de trous mais si doux que s'en séparer serait un déchirement ? Une serviette de toilette remontant à l'enfance qu'on y voit Paris-Versailles au travers ? Un drap cousu par la Maman, manifestement trop juste pour le grand lit d'adulte mais dans lequel on fait de si jolis rêves ? Rassurez-moi, dites-moi que je ne suis pas la seule....
J'en ai profité pour recycler sur mon ouvrage deux des reprises trouvées sur les tabliers bleus, une exécutée assez grossièrement au fil blanc et une toute petite, ronde comme une tête de clou.
Bref je me suis libérée de mes obsessions de finisseuse maniaque et je me suis régalée. Il m'aura fait faire du chemin, ce cahier :-)
L'exercice de Babeth
L'exercice, il a fait comme Babeth : il est parti en vacances :-) Vertes campagnes du Gers, doigts de pieds en éventail au bord de la piscine, fous rires entre frangines, tout ça, tout ça...
Edit : bien sûr qu'elle l'a fini, son exercice de virtuose ! Il est ici.
Et comme c'est moi qui suis bientôt en vacances, n'oubliez pas le calendrier que je vous ai annoncé : je ne publierai pas sur le cahier en septembre, la prochaine étape ce sera le 27 octobre avec le crochet.
Les blogs qui suivent l'aventure
Ce sont maintenant 270 photos qui assurent le spectacle dans la galerie du cahier et je suis ravie de voir que de nouvelles apprenties n'hésitent pas à nous rejoindre en cours de route : nous voici désormais 32 à plancher ensemble sur nos exercices. Les blogueuses persistent également ; je vous redonne les liens pour que vous puissiez aller admirer leurs exercices sur le thème des jours.
Et s'il y en a d'autres, n'hésitez pas à me les signaler en commentaires, je les ajouterai ici.