Indigo
Un mois a passé depuis la dernière fois ? Il a été si riche qu'il me semble m'être déconnectée de mon ordinaire pendant bien plus longtemps. Et pourtant le quotidien s'est retricoté à la vitesse de l'éclair, si bien que les vacances me semblent déjà loin, loin, loin... Il faut que j'en reprenne vite, vite, vite, c'est l'unique solution qui me vient à l'esprit, là, tout de suite :-)
Il me reste tout de même de ce mois de vadrouille beaucoup de découvertes à partager avec vous : des expositions, un échange, un musée, des bricolages, des cadeaux... Ce sera pour moi un prétexte à rester dans la bulle des vacances quasiment jusqu'à la fin de l'année.
Mon premier jour d'itinérance m'offrit mon premier éblouissement. Sur le chemin de la Provence, j'avais résolu de m'arrêter à Bourgoin-Jallieu pour l'exposition Indigo, repérée depuis longtemps. Bien m'en a pris : il y a pas mal de temps qu'une manifestation ne m'avait pas à ce point réjouie.
Elle a été créée par la collectionneuse Catherine Legrand, qui nous entraîne avec ses complices dans un tour du monde des plantes à indigo pour un résultat étourdissant ; j'ai eu l'impression de naviguer de merveille en merveille. La scénographie sobre et efficace associe des pièces qui dialoguent parfaitement, comme cette salopette de travail du milieu du XXème siècle avec une courtepointe irish chain du XIXème...
... ce casaquin d'homme ou cette veste de paludier avec leurs couvre-lits usagés,
... ou encore cette robe de cotonnade anglaise avec ces courtepointes de soie.
Il en est ainsi tout au long du parcours, d'une grande diversité. Après la France et l'Europe, il se poursuit à travers l'Asie dont les textiles mettent le bleu à l'honneur : l'Inde était le royaume de l'indigotier qui détrôna dès le XVIIIème siècle le pastel cultivé en France, avant d'être lui-même supplanté par la teinture chimique au tournant du XXème siècle.
Là encore je ne vous propose évidemment qu'un très court extrait des pièces présentées, avec pour l'Indonésie cette veste de cérémonie pour jeune fille, présentée sur fond d'une étole teinte en tie and dye et d'un pagne formé de deux lés d'ikat...
... puis pour l'Inde, un pagne brodé de coquillages et une jupe presque noire par la superposition de l'indigo et du rouge alizarine.
En Chine également, le bleu sombre de l'indigo règne en maître sur la garde-robe des petits et des grands, autant sur les tuniques des bébés...
... que sur les jupes virevoltant au milieu de leurs mille plis.
J'avais déjà la tête emplie d'étoffes magiques en quittant cette première salle, il me restait à m'étourdir définitivement dans la seconde, consacrée au Japon et à l'Afrique.
La prééminence du bleu dans le textile japonais n'est plus à démontrer. Ici c'est principalement la renouée des teinturiers qui fournissait l'indigotine, avant de céder elle aussi devant les pigments de synthèse. Mais nous savons déjà que des maîtres s'attachent au Japon à faire perdurer l'art de la teinture végétale.
Dans cette salle comme dans la précédente, le plaisir est grand de pouvoir détailler à loisir les textiles sans que rien -ni vitre, ni barrière- n'entrave le regard. Ils sont si accessibles que je n'ai même pas ressenti la frustration de devoir ne pas les toucher ; et j'ai adoré de pouvoir apprécier de très près le relief d'un boro ou le subtil nouage d'un vieux baluchon.
Le voyage bleu trouve son épilogue en Afrique où l'indigo joue également sa petite musique, même s'il peine à s'imposer face aux couleurs vives des wax. Mais les teintes lumineuses le subliment si bien !
Du Maroc au Togo, du Nigéria à la Tunisie, une succession de boubous, de voiles, de tuniques et de pagnes raconte tout de même la résistance discrète de l'indigo sur un continent voué aux couleurs éclatantes.
Si je devais retenir un unique coup de coeur sur cette exposition (un seul ? Impossible !), il irait probablement aux deux biaudes normandes en toile calandrée de la fin du XIXème siècle, présentées sur fond de kelsch ; d'abord parce que j'ai découvert à cette occasion le procédé du calendrage qui imperméabilise la toile et lui donne l'aspect luisant de la soie ; mais surtout parce que leurs coutures soulignées de croquet et de broderie au point d'épine m'ont bien parlé :-)
Quoique... j'hésite avec cette courtepointe de mariage chinoise imitant de manière maladroite et touchante les patchworks des missionnaires, ou cette tenue de paysanne provençale avec son tablier de cotonnine bleue, ou ce tablier hongrois plié et monogrammé de couleurs vives, ou... Vous l'aurez compris, cette exposition m'a enthousiasmée par sa richesse, la qualité des pièces présentées et la cohérence de sa mise en scène.
C'est pourquoi je voulais vite lui consacrer mon premier billet de la rentrée : il vous reste un mois pour en profiter. Et je suis sure que même si vous devez faire un grand détour, vous ne le regretterez pas.
En complément, je vous propose un autre regard sur la manifestation et également celui de Michel Pastoureau sur le bleu.