Après 2019 : le cahier {10}
L'auriez-vous cru en commençant ce drôle de calendrier de l'après avec nous, il y a un an ? Nous en voyons le bout, finalement, ou tout au moins nous voici arrivées à la dixième étape annoncée. Tout au long de cette année, nous avons moins souffert de la contrainte que nous le redoutions, même si certaines leçons ont été plus laborieuses que d'autres. Et par-dessus tout, il nous reste de cette aventure le grand plaisir d'avoir mené à bien un projet qui nous tenait à coeur depuis longtemps.
Nous terminons aujourd'hui par les fronces. Elles sont partout sur nos vêtements : au poignet d'un chemisier pour baguer son bas de manche, à la taille d'un tablier pour ajuster l'ampleur à la ceinture, tout au long d'un volant pour le faire joliment virevolter au bas d'une robe, sur une épaule pour libérer de l'aisance à la hauteur du buste.
Elles sont tellement présentes en couture que bien sûr, les cahiers de nos écolières n'en sont pas avares ; il était donc tout naturel de les intégrer à la liste de nos travaux.
Les fronces sont alliées à la broderie pour leur application reine : les smocks. Ils sont un peu tombés en désuétude mais on en a beaucoup vu sur les délicates cotonnades des brassières ou sur les robes du dimanche. Et pourtant... rien dans leur origine ne laissait présager ce coquet usage.
Car le territoire d'origine des smocks, ce sont de rudes habits de travail. Comme c'est souvent le cas pour la vêture des classes modestes, moins conservée et moins étudiée que l'habit de prestige, il est malaisé de déterminer avec précision leur origine ; mais ils apparaissent, dans l'Angleterre du XVIIIème siècle, sur les sarraus paysans dont ils renforcent le pouvoir de protection. Ensuite leur usage s'étend à toutes les professions qui ont besoin de vastes blouses-manteaux pour affronter les rudesses du climat.
Ils renforcent alors les toiles de lin ou de chanvre qui habillent les laboureurs, les rouliers, les jardiniers, les colporteurs, les maquignons...
Petit à petit, les smocks s'enrichissent de motifs décoratifs brodés sur les aplats du vêtement et qui témoignent des particularités de chaque région, des signes distinctifs de chaque corporation. Sur les chemises du dimanche, le travail des brodeuses confine souvent au chef-d'oeuvre.
Admirez ces quelques exemples miraculeusement conservés ici et là par les musées. En fouillant dans leurs collections, vous trouverez aussi des smocks plus modestes, moins richement décorés, destinés aux tenues ordinaires de tous les jours.
Sarrau d'agriculteur en lin bleu smocké - Somerset 1880-1890
Manchester Art Gallery
Un sarrau de jardinier qui a voyagé ! Origine probable : le Sussex
Canterbury museum
Blouse de travail, possiblement du Shropshire
Manchester Art Gallery
Les exemples de sarraus smockés ne manquent pas non plus au V&A... Explorez, explorez !
C"est encore du Victoria & Albert Museum que nous vient ce superbe exemple de la migration des smocks vers la mignonnerie. Je vous ai appâtées cette semaine sur Facebook avec une vue partielle de cette merveilleuse tenue de fillette, la voici dans son entier. Et vous pouvez encore bien mieux la détailler sous toutes ses coutures en allant voir les nombreuses photos qui en sont proposées directement sur le site du musée.
Les ressources pour les fronces et les smocks
La technique de base des fronces, pour celles qui ne l'auraient jamais pratiquée, est expliquée par Thérèse dans l'Encyclopédie des ouvrages de dames. Sur le principe, on passe deux fils de fronce parallèles, qui sont à point avant. Si on travaille à la machine, on règle le point droit au plus long. On resserre ensuite le tissu à la dimension voulue et on fixe le fronçage par un point de piqûre réalisé entre les deux rangs de fronce, généralement en assemblant la pièce qui doit être rapportée (par exemple le poignet ou la ceinture). Après cette étape, il ne reste plus qu'à retirer complètement les deux fils de fronce.
Encyclopédie des ouvrages de dames sur Gallica
Quant à la technique des smocks, elle n'est pas compliquée en elle-même : il s'agit de froncer le tissu et de maintenir les fronces par des points brodés sur leurs crêtes. La première étape est seulement un peu (beaucoup !) fastidieuse, à moins que vous n'ayez un tissu très régulièrement quadrillé, comme un vichy par exemple ; en effet, il faut déjà préparer le travail par des repères reportés à la règle sur la toile, afin de s'assurer que les points avant seront bien alignés les uns au dessous des autres, sur toute la hauteur à travailler.
Mais en clair, tracer et passer les fils de fronce, ce n'est pas marrant :-(
Heureusement, ça change à l'étape suivante, qui consiste à broder pour maintenir les fronces. Les musées que je viens de vous indiquer sont déjà une très belle source d'inspiration, avec leurs photos proposées en super qualité. Et nous ne sommes pas démunies puisque nous avons déjà étudié aux précédentes étapes tous les points qui servent à les orner ; points droits, points bouclés, rappelez-vous :-)
Un sarrau sur le site du V&A. Si c'est pas du détail, ça...
En complément, je vous renvoie comme toujours vers cette caverne d'Ali-Baba que constitue Antique Pattern Library ; vous y trouverez des ressources pour smocker comme pour tous les autres genres de travaux d'aiguille. Regardez notamment The Priscilla smocking book et Il punto smock édité par Anchor. Ils sont, surtout le second, richement illustrés et devraient vous permettre de bien comprendre la manière de faire.
De notre côté, Babeth et moi avons travaillé avec le numéro 48 de 100 Idées et un petit fascicule, Simplified smocking, que j'avais déjà évoqué ici pour ses charmantes illustrations. Je ferai passer aujourd'hui un scan de ces deux ressources à celles qui réalisent leur cahier avec nous.
L'exercice de Babeth
C'est Babeth qui a retrouvé le bel article consacré aux smocks, en 1977, par 100 Idées ... notre mythique 100 Idées ! Une fois de plus, je me suis félicitée d'avoir conservé toute la collection, à l'exception du fameux numéro 1 qui me manque encore et toujours. Nous en avons profité pour commencer méthodiquement une exploration nostalgique mais aussi prospective de mes cartons, avec des oh ! et des ah ! pratiquement à chaque numéro :-)
Elle en a extrait l'idée géniale (= celle que pourquoi je ne l'ai pas eue avant elle, zut alors !) de cette pochette, dans laquelle elle a caché toute l'histoire de son cahier. Vous n'en saurez pas davantage sur le contenu, mais c'est déjà beaucoup de pouvoir en admirer l'extérieur.
Elle a rebrodé ses smocks au point de côté, de tige, d'épine, de chevron, de chevron allongé, de piqûre orné et au point câblé. La breloque des enfants alsaciens est de Christine Schoettel. Et toujours ces frises dessinées que j'adore !
Mon exercice
J'étais partie sur un exercice plutôt orienté vers la couture, avec des parties de vêtements en réduction : manche, col, tablier... Mais plus je m'enfonçais dans ma prospection parmi les musées anglais, plus mon idée de départ se rééquilibrait au profit des smocks.
La couture est tout de même présente sur ma première page, avec ces deux poignets assemblés en vis-à-vis. J'ai utilisé les fronces pour resserrer les bas de manche et pour monter les deux volants. Et j'ai profité de cet exercice pour intégrer du travail à la machine ; il en fallait tout de même un peu dans ce cahier !
Pour continuer dans le thème, et comme c'était décembre, j'ai froncé des morceaux de dentelle pour en faire des étoiles de Noël ; avec des paillettes, des perles facettées et du fil d'or plat choisis dans le tiroir de la canetille ancienne, j'avais ce qu'il fallait de brillant pour ma guirlande.
Chaque année, mon père fabriquait un nouveau décor pour l'arbre de Noël ; cette année-là était celle des polyèdres en papier calque... Soixante ans après, j'y ajoute ma petite touche d'or et de dentelle :-)
Côté smocks, j'ai voulu renouer avec l'origine et travailler sur une toile populaire qu'on n'imagine pas naturellement destinée à cet usage. J'ai donc plongé dans le stock des kelschs anciens pour en sortir ce métis bicolore à la savante alternance de quadrillages bleus et écrus.
Après avoir froncé ma toile -un mètre au départ pour obtenir vingt centimètres au résultat final, quand même !- j'ai rebrodé avec mon fil préféré, du Broder Spécial n°25 utilisé en simple ou en double selon les points. Le décor sur l'aplat de droite est un assemblage de motifs traditionnels piochés dans les collections des musées anglais ; comme les originaux, je les ai brodés au point de chaînette et au point d'épine.
Et maintenant ?
Il nous reste à faire les finitions : pour Babeth une boîte destinée à accueillir ses fiches et pour moi, la couverture et la reliure de mon cahier. Mais auparavant nous devons encore mettre les derniers points à quelques pages sur lesquelles nous sommes passées un peu vite dans l'année.
Cependant l'aventure nous a tellement plu que nous n'avons pas l'intention de nous arrêter en si bon chemin. Nous avons encore une foultitude de thèmes qui nous tendent les bras : le Berlin, le macramé, les plis, le filet... et la liste est loin d'être exhaustive ! Nous lancerons à l'avenir d'autres thèmes mais, évidemment, plus sur un rythme aussi contraignant que cette année. Êtes-vous prêtes à continuer avec nous ?
Vous entendrez donc à nouveau parler du cahier, ne serait-ce qu'à l'occasion du Festival de la broderie à Dôle en juin prochain.
Vos cahiers
Grâce à vous toutes, à votre engouement pour cet ouvrage, à votre ténacité pour maintenir le cap tout au long de l'année, le projet a pris un tour inattendu : nous sommes ravies d'avoir avancé en si bonne compagnie et vous avez fait beaucoup pour le maintien de notre motivation. Je continuerai bien sûr à alimenter la galerie avec vos photos aussi longtemps que vous m'en enverrez. Il y en a aujourd'hui 428 et je suis à jour de vos envois, alors n'hésitez pas à m'alerter si vous pensez qu'il en manque.
Du côté des blogs, il est toujours aussi intéressant de suivre les histoires que chacune raconte à propos de son ouvrage du mois. Je vous rappelle donc les cinq blogueuses qui nous montrent leurs pages :
Brodibidouillages et compagnie
Christine et Valérie publient également leur cahier sur Instagram. Valérie a même imprimé mon nom sur son beau livre artisanal, je suis tellement fière :-)