Porte-aiguilles et pigeons voyageurs
Avez-vous déjà regardé de près certains des outils qui peuplaient dans le temps les boîtes à couture raffinées et figurent aujourd'hui en bonne place dans nos collections ? Ce sont parfois de vrais bijoux, parfois de simples babioles touristiques rapportées d'un séjour aux bains de mer ou à Lourdes. Mais lorsqu'il y a un bitoniau à l'extrémité d'une poignée de parapluie, ou bien pour actionner un centimètre, les chances sont grandes qu'il abrite un énigmatique stanhope.
Le stanhope, c'est une surprise qu'on peut trouver dans nombre d'objets de curiosité, comme par exemple les coupe-papiers, les porte-plumes ou même au coeur d'une croix de chapelet.
Vues touristiques et religieuses
Il se cache à peine dans l'oeil de ce bijou pendentif prenant la forme d'un poisson articulé.
Et le clin d'oeil frôle la mise en abyme quand la surprise décide de se loger dans la poignée d'une loupe.
Six vues de Ilkley (Yorkshire)
Quand on regarde de près par le petit trou de la lorgnette, on découvre des vues de bord de mer, de grandioses châteaux, des célébrités royales ou impériales et souvent, bien sûr, une litanie de bondieuseries. Des luthiers du XIXème siècle comme Vuillaume ou Voirin imaginèrent même d'inclure des micro-photographies dans des archets de violon !
Bref, en partant de nos boîtes à couture, on en découvre de bien belles ;-)
A l'origine était un fort sérieux comte anglais, Charles Stanhope, troisième du nom. Scientifique accompli et inventeur tous azimuts, il oeuvra dans nombre de domaines allant des mathématiques à l'électricité et, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, dans celui de l'optique. Il inventa ainsi en 1818 la loupe qui porte son nom : un cylindre de verre terminé du côté de l’œil par une calotte sphérique et de l’autre côté par une face plane qu'on applique contre l’objet à examiner.
Ce microscope d'une prodigieuse simplicité traînait volontiers, au siècle dernier, dans les cartables des enfants et dans les boîtes à herboriser des institutrices. Si vous voulez en apprendre davantage sur son principe, n'hésitez pas à aller vous balader du côté du Compendium, un très intéressant cabinet de curiosité consacré aux instruments qu'on utilisait à l'école.
Catalogue Deyrole en 1931, Instruments pour les sciences naturelles - Source Internet Archive
Le lord anglais a imaginé le système de grossissement... Pour la suite de l'histoire j'appelle René Dagron, photographe et inventeur français.
Lui, sa marotte, c'est la micro-photographie. Il réduit l'image à un niveau quasiment surnaturel, à tel point qu'il parvient à enquiller quatre cents portraits sur un millimètre carré de collodion ! Il a alors l'idée d'y associer la loupe de Stanhope et en 1859, il dépose un brevet pour un microscope-bijou à effets stéréoscopiques : ses micro-vues sont collées à l'extrémité plate d'un tube de verre de trois millimètres de diamètre et de six millimètres de long, grâce auquel il obtient un grossissement d'environ cent fois.
Le coup de génie de Dagron, c'est d'avoir adapté un système simplissime et peu coûteux pour permettre un accès facile à ses micro-vues, là où il fallait auparavant des appareils d'optique ou de projection sophistiqués. Ses fameux bijoux microphotographiques deviennent donc la coqueluche du grand public, d'autant qu'il a créé à Gex une usine pour les produire à grande échelle.
Et voilà pourquoi nous retrouvons des stanhopes nichés au coeur des vieux outils de couture. Mais l'image s'est parfois décollée, le plus souvent c'est la baguette de verre elle-même qui s'est échappée de son logement. Malheureusement, il n'en subsiste que très peu dans mes objets de couture.
L'histoire ne se termine pas là, car la babiole n'est pas le seul combat de Dagron. En 1870, Paris est assiégée par les troupes allemandes qui la soumettent à un blocus infernal pendant quatre longs mois. La capitale est littéralement coupée du reste du pays, le ravitaillement n'arrive plus, sans bois et sans charbon l'hiver exceptionnellement rigoureux exarcerbe encore la dureté de la vie quotidienne. On abat les chevaux, on mange les chiens, les chats, les rats, dans les restaurants on sert aux riches les animaux sacrifiés du Jardin des Plantes.
Dans ces terribles circonstances, comment communiquer avec les assiégés ? Après une rocambolesque échappée de Paris en ballon, Dagron parvient à rejoindre Tours d'où il organise la miniaturisation des dépêches qu'on veut faire parvenir aux parisiens. Il se targue de pouvoir faire tenir cent mille dépêches dans des pellicules ne pesant pas plus d'un gramme, ce qui permet aisément d'en charger des pigeons voyageurs.
Et parmi les dépêches publiques et privées qui arrivent à destination par ce moyen, que trouve-t-on ? Des nouvelles de l'ami de toujours, au point qu'il en deviendra l'exécuteur testamentaire, et qui prend soin de rassurer Anastasie et Jacques Simon.
La boucle est bouclée, cette fois ;-) Ce qui me rapelle que je dois reprendre aussi cette histoire-là. Je la mettrai dans la pile de mes priorités... après Dole !