{CB1} Les petites mains derrière le fil
C'est parti pour une série de vacances, puisque c'est maintenant une habitude installée sur le blog depuis quelques années pour traverser l'été en douceur. Avez-vous joué avec moi sur Facebook cette semaine ? Je vous ai proposé une devinette pour annoncer le feuilleton. Si vous avez envie d'une petite régression vers nos jeux d'enfance, il n'est pas trop tard, il suffit de cliquer sur l'image ;-)
Le thème de cette année s'est imposé tout récemment alors que je me préparais à vous parler du Brillanté d'Alger. En fouillant dans les réserves à la recherche d'écheveaux pour illustrer mon propos, je me suis rendu compte que j'avais pas mal de mercerie venant de la maison Cartier-Bresson, et d'assez jolies choses ; l'occasion était donc toute trouvée pour un déballage de brocante tout au long de cet été. Aujourd'hui, j'attaque en vous présentant celles et ceux qui oeuvraient pour que le fil arrive dans les corbeilles à ouvrage.
Tout commence avec Antoine Bresson qui, à la fin du XVIIIe siècle, arrive à Paris depuis son Auvergne natale en colportant de la mercerie. À sa suite, son fils Claude fait toute sa vie dans le fil de coton ; en 1842, il franchit une étape importante en ajoutant au magasin de vente une retorderie qu'il installe rue du Faubourg-Saint-Denis.
Brochure Thiriez Cartier-Bresson de 1951
Il s'agit d'une véritable fabrique animée par une machine à vapeur de douze chevaux, une sérieuse innovation pour l'époque. La tâche est répartie entre plusieurs ateliers où le coton brut à un brin est transformé en toutes sortes de fils agréables à la clientèle : retordage, pelotage, moulinage et pliage des brodés, fabrication des lacets, confection des boîtes en carton pour le conditionnement... Elles sont nombreuses les étapes pour parvenir au produit fini, qui n'a plus qu'à passer rue Saint-Denis, dans la maison de commerce.
L'entreprise connaît un nouveau coup d'accélérateur avec l'arrivée des frères Cartier, auxquels Claude Bresson donne ses filles aînées. C'est le moment où un nouveau Paris se dessine avec les travaux du baron Haussmann et désormais, les nuisances de l'industrie n'y sont plus tolérées. En 1856, Cartier Aîné entreprend donc de faire construire à Pantin une nouvelle usine, dans le quartier des Quatre-Chemins encore voué à l'agriculture.
Quand on s'enorgueillissait des cheminées crachant leurs fumées dans le ciel bleu des campagnes...
Trois ans plus tard, elle est opérationnelle. Aux activités traditionnelles de retordage et de pelotage assurées par l'ancienne fabrique, s'ajoutent de nouveaux traitements chimiques comme le mercerisage et surtout la teinture qui va devenir une grande spécialité de la maison.
source : Archives municipales de Pantin
L'usine se déploie sur 14 000 m² et emploiera jusqu'à six-cents ouvrières et ouvriers. L'animation est garantie dans les rues de Pantin, à l'heure de la sortie !
On retrouve ici les valeureuses pendant les grèves de 1936, quelques décennies plus tard, alors que la France s'est mise à l'arrêt pour le pain, la paix, la liberté.
Mais dans cette dernière partie du XIXe siècle, âge d'or pour l'industrie du coton, la région parisienne ne suffit plus pour faire face à l'explosion de la demande, principalement en raison d'une main-d'oeuvre assez volatile. La maison Cartier-Bresson se tourne alors vers les Vosges où se sont réfugiés beaucoup d'Alsaciens refusant de devenir Allemands après la défaite de 1871 ; ils constituent une main-d'oeuvre stable et habituée au travail du fil. Avantages supplémentaires, les régions de l'Est ont une tradition textile déjà ancienne et offrent de beaux cours d'eau, propices à fournir l'appréciable force motrice de l'énergie hydraulique.
Trois nouveaux sites voient donc le jour, regroupés dans un mouchoir de poche, à Celles-sur-Plaine, Raon-l'Étape et Azerailles. Les trois fils Cartier se partagent la gestion de l'entreprise entre la Lorraine, l'usine de Pantin et la maison de commerce de Paris.
Bien plus tard, après la fusion avec Thiriez... plaquette de 1951. Rhooo ! Le stock !
Voilà donc le cadre posé avec l'évocation des petites mains qui sont derrière la fabrication de nos fils. Elle est longue, la cohorte des silhouettes anonymes qui ont oeuvré à faire naître ces écheveaux, pelotes et bobines que nous aimons tant collectionner aujourd'hui ; l'histoire n'a pas retenu leurs noms, on les saisit à peine au détour de vieilles cartes-photos ou de brochures promotionnelles. Et pourtant, rien n'était possible sans elles...
Pour suivre le fil, je me suis replongée dans la passionnante monographie que Bruno Floquet a consacré à ses ancêtres, Cartier et Bresson, au fil d'une famille. Elle nous a donné l'idée d'une balade vers le berceau des Bresson que nous ferons un de ces jours avec Michèle ; je ne peux même pas vous montrer à quoi ça ressemble car c'est tellement loin de tout que la voiture de Maps n'y est pas passée ;-) Il n'y a rien à y voir, que de la belle nature et probablement des découvertes surprenantes ici ou là, comme à chaque détour du chemin en Auvergne. Ce sera un autre récit !
Les précédentes séries d'été :
• en 2016, des publications éphémères. Mais vu le principe ce n'est pas la plus intéressante à revoir...
• en 2017, les ouvrages de mes petites anonymes auxquelles je tiens tant,
• en 2018, des cahiers de couture... qui préludaient une grande aventure ;-)
• en 2019, la saga des cahiers Gompel.