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Ouvrages de Dames
2 août 2020

{CB 5} Les origines

Pour aller à Mazoires, il faut choper la Couze d'Ardes quasiment à la tombée de l'autoroute. Par chance -et parce qu'il n'y a pas moyen de faire autrement- la route tortillonne au bord d'une ancienne vallée glaciaire qui donne des airs sauvages à la petite eau. On a beau essayer de deviner la rivière tout en bas des gorges, de là-haut on ne fait que l'entendre.

Chaque détour de la route est une nouvelle surprise, comme cette énigmatique maison agrippée au bord de sa falaise, de l'autre côté du gouffre,  et qui nous crie : Passe ton chemin, je ne veux voir personne !. Les plans anciens livrent à peine à la curieuse que je suis le nom de son lieu-dit et ce sera tout.

Le Colombier

Après Ardes, la rivière perd de sa sauvagerie en même temps qu'elle redevient ruisseau et comme elle, la route rétrécit et se fait confidentielle, presque secrète sous la protection des bois qui la transofrment en vert tunnel. Il faut finalement la quitter pour parcourir les derniers kilomètres et arriver au village.

Mazoires, c'est un bout du monde qui ne figure dans aucun guide. Mais c'est là, en 1777, qu'est né Antoine Bresson, racine auvergnate de la manufacture dont l'histoire nous accompagne cet été.

Baptême Antoine BressonArchives départementales du Puy-de-Dôme

C'était donc la balade idéale pour les amoureuses de mercerie ancienne que nous sommes, Michèle et moi. Il y a quinze jours, nous avons savouré tout le plaisir d'un pique-nique à l'ombre de l'église où, deux-cent-quarante-trois ans plus tôt, Antoine était porté sur les fonts baptismaux.

Eglise Mazoires

Mais aussi reculé que soit le village, nous n'étions toujours pas arrivées au but de notre promenade. Il fallait encore parcourir près de six kilomètres et passer le col de la Pierre Plantée pour parvenir au hameau du Fayet où Antoine Bresson vit le jour.

Plans du FayetCartes de Cassini sur Gallica et cadastre napoléonien sur les AD 63

Tout est beau et serein dans cette Auvergne isolée où je ne me souviens pas que nous ayons croisé une voiture tout le temps où nous sommes restées sur le plateau.

Col de la Pierre Plantée

Hameau du Fayet

Maisons du FayetVieilles maisons du Fayet

Cependant le plaisir de cet intermède dans des paysages idylliques, confortablement installées à bord d'une voiture climatisée, ne nous a pas fait oublier la misère noire de ce XVIIIe siècle implacable qui jeta sur les routes tant de nos ancêtres. La fin du siècle vit se succéder des étés caniculaires et des hivers intensément glaciaux, installant davantage encore le monde paysan dans la famine.

Dans ce contexte de nécessité absolue, conforté par la longue tradition des migrations saisonnières auxquelles étaient déjà accoutumés les Auvergnats, c'est bien sûr à pied qu'Antoine Bresson rejoint Paris. De colporteur sur les routes, il devient mercier ambulant dans la capitale puis commence à sédentariser sa petite affaire sur le marché Saint-Germain. Bruno Floquet, qui a remarquablement documenté l'histoire de sa famille, raconte comment il y rencontre Marie-Victoire Lot puis installe avec elle une boutique de mercerie rue de Seine. C'est là qu'elle donne le jour à leurs cinq enfants, dont Claude en 1803.

Mais Antoine ne devait pas les accompagner longtemps : affaibli par un coeur fragile, usé par une jeunesse sans confort et des conditions de vie éprouvantes, il meurt prématurément en 1816 à son domicile de la rue de Seine, sans avoir atteint la quarantaine. A peine deux ans auparavant, il a pris soin de protéger Marie Victoire par une donation qu'il lui a consentie devant notaire.

De manière émouvante, la succession d'Antoine Bresson témoigne du travail acharné fourni par les deux époux pour installer la génération suivante dans une vie un peu moins dure que la leur. Modestement dotés au mariage de 150 francs chacun, ayant simplement recueilli une petite succession de 450 francs des parents Bresson, le couple n'a certes pas fait fortune ; mais tout en nourrissant cinq enfants, il a malgré tout réussi à mettre 18 000  francs de côté à la mort d'Antoine.

Succession AntoineSuccession d'Antoine Bresson déclarée par Marie Victoire - Archives de Paris

La jeune veuve poursuivra sans désemparer l'effort jusqu'à présent mené à deux, tout en assumant seule ses cinq enfants. L'histoire familiale raconte que dès qu'elle pouvait laisser la boutique quelques heures à ses aînés, elle augmentait les revenus de son commerce en allant déplier sa table dans une rue passante où elle proposait encore sa mercerie.

On connaît la suite de l'histoire et comment son fils Claude fit preuve de la même opiniâtreté pour fonder la manufacture qui allait devenir Cartier-Bresson...

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Commentaires
J
Magnifique ce texte! Les vieilles pierres, le calme auvergnat, le pique-nique sous les arbres en bonne compagnie, voyage qui nous fait découvrir l'origine de Cartier-Bresson, on ne regarde plus ses fils de la même façon....<br /> <br /> Merci encore une fois Sylvaine.
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J
Tristesse d'une vie dure qui s'achève trop tôt...!de la ténacité d'une mère,veuve trop tôt,pour offrir à ses enfants une vie meilleure!encore une belle histoire autour du fil!merci Sylvaine!bisous josie
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C
Bonsoir,Merci pour ce beau récit.
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M
Un grand merci pour cette magnifique histoire amicalement
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R
bonsoir <br /> <br /> merci de toute les faces de la vie de nos anciens <br /> <br /> je connais le village <br /> <br /> mes arrieres grands parents étaient natifs j'en avais entendu parler ,mais non développé<br /> <br /> encore merci agréable semaine <br /> <br /> roselyne
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M
Racontes.
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M
C’est un roman du terroir que tu nous raconte. Un vrai plaisir teinté de nostalgie. Merci tout simplement.
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N
Merci...Vos récits sont toujours passionnants !
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F
Merci de nous faire ce récit passionnant, nous y apprenons beaucoup sur la vie quotidienne très dure de nos ancêtres. En ce mois d'août ou la France s'arrête pour les congés bien mérités, je suis ravie de lire de tels articles qui doivent vous demander de longues recherches. Grand merci à vous.
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N
Merci pour cette histoire de famille,preuve de la vie difficile de nos ancêtres, et de la remarquable adaptation dont certains ont su faire preuve malgré les épreuves, en mettant de côté de l'argent pour que la vie de leurs enfants soient moins dure que la leur...<br /> <br /> Belle fin de dimanche, bises
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V
I have never met a anyone as passionate and dedicatedd to your reserch, no matter what it is. I admire your persistance and commitment to delight us with all your publications. Although I have never been to France, something I regret, I am delighted to see the photos and read about their area of interest, yes! to me.Thank you, thank you
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M
Bonjour Sylvaine<br /> <br /> Au-delà de vos recherches acharnées (mais heureuses) que j’admire, j’apprécie votre style, limpide et fluide comme celui d’une histoire, si loin de celui des guides plein de lourdeurs quand ce n’est pas de pathos.<br /> <br /> Mon arrière-grand-mère avait une partie mercerie dans son magasin cévenol. J’en ai certainement conservé l’admiration pour les produits Cartier-Bresson, sans jamais savoir que l’origine était auvergnate. Je croyais qu’elle était de l’Est. Le nom de Bresson aurait pourtant dû m’alerter.<br /> <br /> Dans les Cévennes reculées, j’ai vu dans mon enfance (1960) des personnes âgées vivre comme l’on vivait deux siècles plus tôt, sans autre confort que la cheminée pour se chauffer, faire bouillir la marmite pour les animaux, se nourrir et même s'éclairer. Il y avait ceux qui travaillaient pour que leur famille vive mieux et ceux qui se contentaient de leur existence et en faisaient le moins possible.<br /> <br /> Avec cette vision qui va du post-moyen âge à l'ère de l’électronique, je ne vois pas en profondeur de grands changements dans l'appréhension de la vie.<br /> <br /> Magali
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C
passionnant ……. <br /> <br /> corinne74
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M
J'aime beaucoup la maison agrippée à la falaise. Ne nous trompons pas je l'aime comme une touriste, j'aime la photo, je n'y vivrais pas....merci pour tes recherches.<br /> <br /> Bonne journée
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F
Merci pour cette page d'histoire et ces jolies photos d’une région restée, dans certains endroits bien au calme.<br /> <br /> Bon dimanche et belle semaine.
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M
De vraies histoires que l'on revit très bien avec ton récit. <br /> <br /> Mes ancêtres aveyronnais sont montés à la capitale où ils ont eu encore bien des difficultés de vie. Alors il est plaisant d'admirer ceux qui ont réussi.<br /> <br /> On apprend toujours ici. Merci.
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V
une belle histoire d'origine paysanne pour ce 1er Bresson. On est tous fils ou fille de paysans et cela prouve aussi que l'on peut réussir sans pratiquement rien au départ et beaucoup de volonté et d'acharnement.<br /> <br /> Bises<br /> <br /> violine
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G
Bonjour Sylvaine<br /> <br /> Merci pour toutes ces précisions, qui prouvent qu'avec de la persévérance, on peut réussir. La vie était beaucoup plus dure à cette époque, pas si lointaine. Merci pour tes recherches. Bon Dimanche plus frais. Gros bisous.
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E
je me fais le film en te lisant , je vois les hivers rudes, les chaussures trop usées du colporteur , la sueur sur son front avec sa lourde charge, j'imagine les rubans, épingles qui passent d'une main à l'autre, la fierté d'ouvrir sa première boutique ....
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M
Cette saga familiale est très émouvante et passionnante !<br /> <br /> Merci de partager avec nous.<br /> <br /> Bon dimanche !
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C
Merci de partager ainsi vos découvertes et votre savoir, c'est un vrai plaisir de vous suivre et de vous lire. Bon dimanche.
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M
Un article passionnant !<br /> <br /> Merci :)<br /> <br /> Beau dimanche, bisous
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M
Quelle rigueur dans le déroulement de cette saga! avec même une imprégnation directe du pays des origines. Très intéressant.
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A
Encore un régal cet article qui réuni deux de mes passions , bravo pour tes recherches sur les lieux , je crois que je vais t' employer ( à ta retraite) pour remonter sur la trace de mes ancêtres dans le Tarn !
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A
Passionnant !
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M
j'admire le courage et l'opiniâtreté de nos ancêtres . Partis de rien, avec de la volonté ils finissent par s'en sortir et mettre leur progéniture sur la bonne voie. Nos jeunes feraient bien de s'en inspirer , et comprendre qu'on a rien sans rien . La notion d'effort et de travail est un peu perdue, peut--être parce que nos vies ont été trop confortables dès la naissance . Merci pour cette histoire de famille . Bon dimanche .
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