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Ouvrages de Dames
22 novembre 2020

Limite vexant

La généalogie, c'est exaltant quand je découvre que mon ancêtre anglais à la huitième génération était fabricant de quincaillerie à Birmingham en plein XVIIIème siècle, ce qui m'oriente illico vers les forges et les aiguilles de Redditch. Ou que ma famille partie en Louisiane au milieu du XIXe siècle a tenu pendant plusieurs décennies une mercerie en plein cœur du Vieux Carré, à la Nouvelle-Orléans.

J'en reparlerai ici, forcément ;-)

71 St Ann streetElles étaient quatre soeurs et tenaient mercerie dans cette maison, au XIXème siècle

Mais on retombe vite sur terre.

Mes arrière-arrière-grands-parents paternels ont passé toute leur vie dans l'Oise ; l'idée m'est donc venue d'explorer les registres fiscaux, aux archives municipales, pour retracer un peu plus précisément l'histoire de leur commerce à Creil. J'ai dû chercher au nom d'Eugène Lenoir, car certes Juliette était mercière mais c'était avant tout une femme, mariée de surcroît. Il n'était donc pas question que sa boutique figure à son nom.

Code civil art1124
Ce bon vieux code civil et son minable article 1124 :-( Source : Gallica

Et pourtant Eugène avait bien un métier à lui, puisqu'il était agent d'assurance pour la compagnie La Prévoyance. Si bien qu'à l'annuaire de 1909, par exemple, on le retrouve aux deux rubriques : celle des Nouveautés et celle et des Assurances. Mais Juliette Dauchancourt est transparente...

Annuaire Douai 1909Annuaire Paul Douai - Source : Archives départementales de l'Oise

Bref, la femme incapable majeure, c'est quelque chose à quoi il faut bien se plier en généalogie... n'empêche que ça me fiche toujours autant en rogne. C'est avec la loi du 18 février 1938 seulement que l'étau commence à desserrer ses mâchoires : le mari est toujours le chef de famille, celui qui choisit la résidence du ménage (faut pas pousser, non plus)  mais, enfin, "la femme a le plein exercice de sa capacité civile". Un peu tard pour Juliette, malheureusement : elle n'avait plus que deux ans à vivre.

En 1906, l'agent recenseur ne s'y est pourtant pas trompé, lui qui passe de maison en maison et qui connaît son monde : Juliette est bien patronne de sa mercerie et Eugène se trouve renvoyé à ses assurances.

Recensement 1906Recensement de population 1906 - Source : Archives départementales de l'Oise

Passée cette minute atrabilaire, j'en reviens au coeur de mon sujet d'aujourd'hui : ma découverte dans la matrice des contributions personnelles et mobilières pour l'année 1909. Et quand je vous disais qu'on retombe sur terre aussi vite qu'on est montée dans les nuages...

Matrice fiscale 1909 Matrice fiscale 1909 - Source : Archives municipales de Creil

Juliette était donc marchande de tissus grossiers et communs sans assortiment. De quelque côté que je cherche, je n'ai que des ancêtres extrêmement modestes et je les aime comme ils sont ; mais le moins qu'on puisse dire, c'est que cette qualification est loin d'envoyer du rêve...

Dans un premier temps, j'ai été presque vexée et j'ai pesté contre le fonctionnaire qui s'était permis cette appréciation bien peu valorisante sur l'activité de mon aïeule. Et pourtant, en creusant l'affaire, je me suis rendu compte qu'elle ne devait rien à un jugement de valeur mais relevait d'une nomenclature précisément codifiée.

Car la loi sur les patentes liste des centaines de métiers et les répartit en huit classes qui vont déterminer le montant de l'imposition. Pour la vente de tissus au détail, il y a deux possibilités : les tissus de laine, de fil, de coton, de soie ou de crin, placés en 3ème classe, et mes fameux tissus grossiers et communs sans assortiment qui se trouvent, eux, en 6ème classe.

Tableau A - TissusLoi sur les patentes de 1880 - Source : Gallica

Juliette ne vendait pas que du tissu puisqu'elle se déclare mercière à l'agent recenseur ; d'ailleurs cela va bien dans la logique de la pratique commerciale. Mais en cas d'activités multiples pouvant entrer dans plusieurs classes, une seule patente est due, basée évidemment sur le droit le plus élevé. Quoi qu'il en soit, pour Juliette ça n'aurait pas changé grand chose d'être fiscalement qualifiée de mercière puisqu'elle n'aurait pas bougé de sa 6ème classe.

Tableau A - Mercerie

Finalement, comme les commerçants se battaient plutôt pour être placés dans une classe avantageuse, se retrouver vendeuse de tissus grossiers était une bonne affaire pour elle. Si je n'ai pas fait d'erreur dans le calcul des droits fixes et proportionnels, le montant de sa patente a dû s'élever en 1906 à 25,75 francs alors qu'elle aurait été redevable de pratiquement le double, 48,67 francs, si elle avait tenu une marchandise plus reluisante.

Pour remettre les choses en perspective, vous vous rappelez qu'en 1908, Cartier-Bresson vendait aux mercières pour 1 franc le coffret de 50 pelotes de coton à marquer ou bien pour 7,30 francs le kilo de câblé à coudre blanc ?

Il y a une jurisprudence abondante sur le classement des commerces, si bien que j'ai une idée assez précise du type de boutique que tenait Juliette car le juge prend en compte beaucoup de critères. Elle visait une clientèle modeste à laquelle elle vendait des tissus à des prix très accessibles mais avec la contrepartie d'un choix restreint. Elle pouvait tenir par exemple du reps, des cotonnades, des indiennes, des coutils, des calicots, de la toiles à matelas, des chemises de couleurs, etc.

Le fisc, c'est une mine, finalement :-)

Rue Montataire

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Commentaires
C
Passionnant votre article , je m'en vais de ce pas l'envoyer à des amis passionnés de généalogie et qui écrivent sortes de livres avec le passé d'une belle maman ou d'un frère et en font des cadeaux de noël ! ... ils ne connaissent peut-être pas les ressource du fisc ! les femmes laissent un peu plus de traces désormais , belle journée
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L
C’est passionnant! Un régal...merci chère Sylvaine...💝
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M
Un travail laborieux mais que de satisfaction d'arriver à un tel résultat. Vos articles sont toujours aussi passionnants. Merci de nous les faire partager.
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E
Ton travail de recherche dans toutes ces archives est remarquable même si c'est vexant comme tu le fais remarquer.. <br /> <br /> une belle histoire finalement<br /> <br /> belle semaine et bonne suite dans tes recherches!
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I
Toujours aussi passionnant ! Merci
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F
Merci pour une fois de plus un article très instructif. Mon mari aussi fait de la généalogie, pour nous non plus pas d'ancêtre illustres ou richisimes ...
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M
merci, histoire très interessante, Je vois qu'une de tes ancetres se prénomme Estelle et ma petite fille de 20 ans a le même prénom<br /> <br /> bonne fin de journée
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J
Merci Sylvaine,que c'est passionnant!une belle histoire dans le monde du travail,la reconnaissance des femmes a été tardive!je suis impatiente de découvrir tes prochaines recherches! bisous josie
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G
Très belle histoire c'est passionnant la généalogie je me suis trouvé un grand père tisserand j'aurai bien aimé savoir quel genre de tissu , en tout cas elle le gérait son petit commerce incapable ou non que de mots moches tout de même pour qualifier les femmes belle soirée bises
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V
What a lovely experience to discover part of your genealogy. It's a wonderful feeling to find information about own's lineage. However, it is frustrating for those of us who have tried to hard, and just hit blank walls. Congratulations on your efforts and pleasurable discoveries.
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G
Bonsoir Sylvaine<br /> <br /> Merci pour cet article très intéressant . Heureusement, le statut des femmes a bien évolué. Les recherches généalogiques sont très enrichissantes, quel que soit le métier exercé par nos ancêtres. C'est là où l'on s'aperçoit , que de génération en génération, certains métiers perdurent. Merci pour les pistes à suivre, avec les registres fiscaux. Bonne soirée. Gros bisous.
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V
toujours des chemins de traverse pour arriver au but.... quelle fouineuse tu fais tout de même. Super !!!! Dans ma famille, j'ai des "nobles", des "bourgeois", des "seigneurs", mes "propriétaires" mais j'aime aussi mes paysans, mes fermiers, mes journaliers, mes servantes, mes ménagères. C'est ce qui fait la richesse de la généalogie<br /> <br /> bises<br /> <br /> violine
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M
Tellement passionnant ! Mais qui doit demander un énorme travail de recherches. Bravo et bises
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M
La succession d’articles avec l’intégration de vos recherches familiales est extrêmement riche. La diversité favorise la curiosité.<br /> <br /> Avec ma formation de juriste, je pensais bien connaître les arcanes des situations féminines ; mais spolier les femmes au point de faire disparaître leur identité (Mme)<br /> <br /> me semble aller bien loin.<br /> <br /> S’il n’y avait eu la pesanteur sociale qui imposait le mariage aux filles honnêtes, y aura-t-il eu autant d’abandons d’indépendance féminine ?<br /> <br /> Je suis toujours stupéfaite devant la précision de vos recherches et de vos articles. Soyez en remerciée.
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L
Je n'imaginais pas que les recherches généalogiques puissent être aussi riches d'enseignement. Merci Sylvaine.
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V
Mon AGP ayant fait faillite et l'argent venant du côté de mon AGM, ils ont fait une séparation de biens et l'hôtel a été acheté par mon AGM mais bien sur avec son autorisation.<br /> <br /> Mais tu as raison Sylvaine, que de chemin parcouru pour arriver ou on est aujourd'hui et avec encore malheureusement des inégalités.
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E
Ce matin tu nous transportes dans le monde du commerce et de sa fiscalité avec toute la finesse dont tu as l'habitude sans oublier la liberté que les femmes ont grignoté au fil du temps. Merci et bonne continuation dans cette dévorante passion
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P
Émoustillée par l’histoire de vos aïeules,j’aimerais m’y retrouver d’avantage .<br /> <br /> Remettre dans l’ordre généalogique Estelle,Georgette et Juliette.<br /> <br /> J’en demande peut-être un peu trop?<br /> <br /> En tout cas merci pour le bon moment du dimanche matin.
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G
Bonjour et merci pour cet article passionnant, quel travail de recherche, bon dimanche.
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D
Merci pour cette belle histoire qui plus est très instructive. Et on peut donc supposer que c'est votre aïeule devant sa boutique sur la photo . C'est très émouvant aussi!
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M
Merci pour cet article passionnant !<br /> <br /> Bon dimanche
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F
Merci de toutes ces recherches qui nous ramènent au temps difficile pour les femmes....aucune reconnaissance....du chemin parcouru.....à préserver......<br /> <br /> Bon dimanche.
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C
Toujours impressionnée par toutes tes recherches, passionnantes et précises. Bon dimanche
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M
L'histoire des femmes... que de chemin.<br /> <br /> Bonne journée
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D
Quel article passionnant. Tu es la reine du décortiquant généalogique. C'est plutôt bien une mercière, elle sait lire et écrire au moins;pas comme bon nombre de mes aïeuls.
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O
Merci le fisc? Qui l’aurait cru? N’est ce pas étonnant ( ou peut-être la région?) qu’on ne parle pas de chanvre dans ces nomenclatures.
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M
Très intéressant ! Bravo pour de travail de recherches ! Bon dimanche 😘
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A
Toujours aussi passionnant !<br /> <br /> La boutique de juliette existe-t'elle toujours à Creil ?
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C
Merci pour ce partage et comme les femmes ont déjà dû se battre à l'époque. Mon mari fait aussi la généalogie de sa famille et tout comme toi, il est passionné - bisous et bonne journée.
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C
Si le fisc est une mine tu en es une autre!!<br /> <br /> Bises dominicales
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N
Merci pour cet article passionnant, qui nous rappelle, en tant que femme, le chemin parcouru (et celui qu'il reste à parcourir, sans compter nos acquits à défendre...) : vote des femmes, capacité d'ouvrir un compte bancaire sans l'accord de leur mari, écoles mixtes, etc... <br /> <br /> Tes recherches généalogiques sont toujours passionnantes, merci de nous les partager.<br /> <br /> Bon dimanche, bises
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F
Belle histoire !!
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