9 749 kilomètres
9 749 kilomètres, c'est la distance qui sépare Yokohama de Dijon. A vol d'oiseau. Imaginez donc tout ce qu'il faut rajouter avec les moyens du XIXe siècle où les liaisons se faisaient par voie de mer... Voilà pourquoi je fus interloquée de trouver un rapprochement entre les deux villes en 1868, quand au détour d'un dossier que je dépouillais aux Archives départementales de la Côte-d'Or, je tombai sur ça :
Tout un paquet de feuilles revêtues de tampons, apposés à titre de spécimens par la légation de France au Japon...
Puisque j'étais dans la soie dimanche dernier, j'y reste mais en passant du côté des producteurs avec cette bizarrerie trouvée dans les très sérieuses archives du Secrétariat général de la Préfecture à Dijon. Ça fait d'ailleurs partie d'un dossier (encore un !) sur lequel je veux recommencer à plancher : la relance de la sériciculture par chez nous.
Mais au milieu du XIXe siècle, elle est bien en péril car la pébrine vient d'apparaître en Europe. C'est une maladie qui cause des ravages dans les éducations de vers à soie ; elle tâche de noir le corps des chenilles qui arrêtent de se nourrir et dépérissent. Quant à baver leur fil de soie pour former le cocon qui protègera leur mue, il ne faut même plus y penser ! Cette maladie fait le désespoir des paysans qui voient leur production réduite à néant ; ils perdent ainsi un revenu souvent annexe mais qui participait grandement à les mettre à l'aise.
Louis Pasteur se met sur le coup et finira par trouver une solution. Mais en attendant, l'enjeu est de se fournir en graines de vers à soie exemptes de cette maudite pébrine pour tenter de remonter des éducations où le mal ne sévit pas.
On est en 1859 et de l'autre côté du globe, le bourg de Yokohama est le premier port japonais à s'ouvrir aux échanges avec l'Occident. Les commerçants étrangers, longtemps tenus à l'écart par la politique isolationniste du Japon, s'y précipitent et la ville devient rapidement une plaque tournante pour le commerce de la soie asiatique.
Yokohama en 1860, gravure par Gountei Sadahide - The Met
Dans ce commerce du ver à soie, tout repose sur la confiance et il faut s'en rapporter entièrement au vendeur. La maladie ne peut pas s'observer sur les graines : quand ses premiers signes apparaitront sur les chenilles, il sera déjà trop tard et la saison sera fichue. La première étape du processus, qui consiste à se fournir en graines, est donc capitale.
Or les Japonais ont une réputation de sérieux reconnue dans ce domaine. A l'initiative des graineurs français, une expédition se formera même dans l'intérieur de l'île, en juin 1869, pour s'en assurer directement dans les éducations de vers à soie.
Encore faut-il que la production locale ne soit pas contrefaite. Hélas, on soupçonne quelques producteurs chinois de faire passer leurs graines par le Japon pour leur donner un air de sérieux qu'elles n'auraient pas en réalité.
Voilà l'explication de cette empreinte apposée sur les cartons de graines japonaises par la légation française et qui garantit leur provenance.
Pour assurer à cette mesure la publicité qu'elle méritait, tous les préfets des départements séricicoles de France reçurent alors des spécimens de l'empreinte, à charge pour eux de les redistribuer dans les communes concernées pour la parfaite information des éleveurs.
Mais en Côte-d'Or, le bureau chargé de l'agriculture n'eut pas grand travail à faire. Car à l'époque il n'y avait déjà guère plus que les dames Ursulines de Montigny-sur-Vingeanne qui persistaient encore dans cette industrie... Voilà pourquoi ces specimens ont été si peu diffusés et sont finalement restés enfouis dans un dossier poussiéreux voué aux Archives, attendant presque deux siècles que je vienne les ramener à la lumière.
Nous sommes toujours au mois de février, toujours dans le défi d'écriture #lemoisGeneatech qui nous proposait cette semaine de plancher sur une découverte que nous n'aurions pas pu faire sans nous rendre en salle de lecture. J'ai choisi de feuilletonner en 5 épisodes ma première incursion sérieuse dans le monde de l'Ancien régime et de la noblesse. Avec le démontage d'un jugement douteux, l'aide inattendue d'une dispense de mariage et la rencontre d'un lointain cousin fort attachant... Que d'aventures ;-)