L'industrie des échantillons
On ne se lasse pas d'admirer les techniques de vente mises en place dès le XIXe siècle par les grands magasins, au travers de ce témoignage fragile et pourtant parvenu jusqu'à nous : les carnets d'échantillons de tissus. Ils étaient les compléments indispensables que les meilleures maisons parisiennes associaient à leurs catalogues.
Et pour ne pas gâcher de papier, leur verso est exploité pour communiquer sur l'excellence de la maison.
Tous les grands magasins sacrifient à la coutume du carnet d'échantillons qui constitue le support idéal pour vendre à distance.
Les Galeries Lafayette…
Le Printemps…
La Samaritaine…
Et bien sûr le Bon Marché, un de ceux qui a poussé au plus loin la communication publicitaire.
Admirez la mignonne étiquette !
L'entreprise des Boucicaut n'a jamais hésité à exposer au grand public la rigueur de son organisation interne pour promouvoir l'excellence de sa proposition. Tant mieux pour nous : c'est grâce à cette communication que nous en apprenons davantage sur la fabrication de ces fameux carnets d'échantillons.
Car une fois qu'on s'est assuré de détenir la meilleure marchandise, comment appâter la clientèle ? Le moyen le plus efficace consiste à placer la marchandise elle-même sous les yeux du client par une exposition publique, à permettre ainsi de la voir de la palper, de se rendre compte de ce qu'elle vaut. Le Bon Marché organise, tous les ans, douze de ces expositions.
Rappelons que même l'accès libre aux articles, le simple fait de pouvoir se balader d'un comptoir à l'autre, toucher, prendre, reposer, constituait en cette seconde partie du XIXe siècle une nouveauté qui révolutionnait l'art du commerce.
Le comptoir de ganterie du Bon Marché – Gallica
Cependant on entend ratisser plus large. Car il y a les gens qui craignent la foule ou qui n'aiment pas à se déplacer, il y a la province dont il faut provoquer les ordres : de là l'adoption d'un second mode de publicité. C'est celui qui passe par les catalogues illustrés.
Mais ces catalogues, si explicites qu'ils puissent être, ne sauraient faire apprécier le mérite d'une étoffe : on voudrait la voir, on souhaite un échantillon. Qu'à cela ne tienne, le service des échantillons est là qui fonctionne sans relâche.
Un service entier dédié par le Bon Marché à la confection des échantillons ! Il est localisé au 106, rue du Bac, où se trouvent également les bureaux de la publicité.
Service des échantillons – Gallica
C'est un service sérieux puisque dans la seconde moitié du XIXe siècle, il ne mobilise pas moins de cent cinquante personnes entre la coupe et l'assemblage de tout ce que le magasin peut vendre d'étoffes. Tout ce monde produit deux cents millions de carnets envoyés chaque année en province et, bientôt, jusqu'à l'étranger.
Et le système s'amplifie encore ; au début du siècle suivant, deux cents jeunes filles seront affectées rien qu'à l'étiquetage.
Collage et coupe – Bibliothèque Forney
Des machines découpent en bandes étroites puis en petits carrés, des pièces entières de toutes les étoffes mises en vente : un bataillon de 120 à 150 jeunes filles fixe ces carrés sur des cartes toutes préparées.
Les échantillons sont découpés dans les pièces de tissu de laine, de soie ou de coton au moyen de six machines, chacune conduite par un coupeur et son aide et qui débite 32 000 morceaux à l'heure, plus où moins selon l'épaisseur et la dureté du tissu. Le plus facile est le lainage, les plus durs sont le calicot et la soierie.
La découpe des échantillons à la fin des années vingt
Les diverses nuances d'une étoffe sont d'abord rassemblées en paquet et mises ainsi sous la machine dont nous venons de parler. Il en ressort des petites collections disposées par teintes et par prix, qu'on donne à des ouvrières. Celles-ci les placent sur des cartes et ensuite sous de nouvelles machines qui les attachent au moyen d'un fil d'acier. Il y a douze de ces machines, chacune est dirigée par une mécanicienne et une apprêteuse.
Les collections passent dans les mains d'autres ouvrières qui y ajoutent des étiquettes portant le prix et la largeur du tissu, et de là sont distribuées aux employés qui doivent satisfaire aux demandes.
Le départ des échantillons à la fin des années vingt
Auriez-vous imaginé une telle organisation uniquement consacrée à nos échantillons ? On les aimait déjà mais je suis sure que désormais, vous regarderez d'un autre œil ces feuillets multicolores quand vous en trouverez au hasard de vos chines !