Eulan fait la nique aux mites
Sur la lancée de la semaine dernière, je continue avec le tricot et plus exactement avec son indispensable carburant : la laine. Dans mes opérations de tri, je me suis retrouvée à réunir enfin tous mes fils à tricoter, jusque là disséminés entre plusieurs armoires, entre plusieurs tiroirs et parfois dans des endroits qui m'ont étonnée moi-même (c'est dire).
J'en suis sortie assez effarée de constater que, même après avoir préparé de gros sacs pour le don, j'avais largement de quoi tricoter encore pour plusieurs vies avec ce qui me restait.
Mais au-delà de ce constat, je me suis fait plaisir à redécouvrir des pépites oubliées depuis bien longtemps et ne demandant que quelques heures de travail pour reprendre vie. Car ce sont des lots complets qui permettent très bien d'envisager un ouvrage un peu sérieux.
Il y a tout d'abord ce retors Spécial pour mercerie, présenté en boîtes de dix cocons de cinquante grammes. Il se fabrique en six titrages, du 10 au 30. Le mien vient en n°20, dans deux boîtes censées renfermer du rose 818 et du bleu 827 mais qui, en réalité, ne contiennent que du rose.
Tout frais, tout propre, comme s'il sortait de chez la mercière !
C'est un coton à six brins que DMC préconise pour le tricot à la main et à la machine de bas, chaussettes, socquettes, etc. Sa structure spéciale le rend résistant et facile à travailler mais le mystère subsiste, nous n'en saurons pas davantage sur le procédé de fabrication.
Rien ne filtre non plus sur cette structure spéciale dans les catalogues de la maison.
Dans l'immédiat après-guerre, le retors à tricoter était encore présenté en écheveaux et appuyé sur une carte de coloris dédiée dont je ne dispose pas mais qui devait probablement être un peu restreinte. Pour pallier cette limite, DMC offre encore de teindre à la demande les commandes d'au moins dix boîtes, dans toutes les nuances de la carte de couleurs pour cotons brillants dont nous savons qu'elle offre une grande diversité de choix. Quand l'industrie proposait encore de personnaliser sa production…
Cette possibilité a disparu au catalogue du tout début des années soixante. Le retors est désormais conditionné non plus en écheveaux mais en cocons, ce qui permet de placer mes boîtes plutôt dans cette période tardive.
Bref, je peux me tricoter un kilo de chaussettes roses… Mais j'ai plus consistant à me mettre sous la dent avec le lot suivant, une boîte de laine Marigold qui suscite des rêves d'horizons lointains alors qu'elle n'est même pas encore ouverte.
Basée à Amiens sur un site traditionnellement voué à la teinturerie depuis le début du XVIIIe siècle, la Filature de la Somme a été active sous ce nom pendant quelques décennies après la seconde guerre mondiale, avant de fermer définitivement en 1992.
Elle développe l'image de sa marque Marigold en mettant en avant sa robustesse et sa résistance aux bébêtes destructrices. Mais avant tout, admirez ce bleu parfait, ni trop layette, ni trop foncé.
Si le fil est bien fabriqué en France, comme on s'en vantait déjà haut et fort à l'époque, c'est selon des procédés anglais de filature qui permettent d'obtenir des coloris extra solides au soleil, à la neige et indégorgeables à l'eau de mer.
Mais cette fois-ci, le secret de cette fabrication nous est révélé grâce à une publicité parue en 1949 dans La Femme Chic : la laine n'est pas travaillée à sec mais peignée, préparée et filée en gras, c'est-à-dire qu'elle est au préalable imbibée d'une préparation lubrifiante à base d'huile d'olive (c'est un peu beurk, non ?).
La Femme Chic - 1er septembre 1949
Toujours est-il que, dans le prolongement des illustrations figurant sur la boîte, ce nec plus ultra de la résistance à l'eau de mer, avantageux à l'emploi et économique à l'usage, fait irrésistiblement naître des images de marins-pêcheurs affrontant les embruns et le gros temps !
Mais l'argument de vente ultime, c'est la garantie d'un traitement antimite qui fait des merveilles.
La laine Marigold est dans un premier temps protégée à l'Eulan. La réclame pour cette solution antimite, parue en 1939 dans Marie-Claire, ne fait pas dans la demi-mesure puisqu'elle s'engage à rendre les laines qui l'adoptent définitivement inattaquables aux mites. Voilà une belle promesse pour un produit non toxique et inodore et qui ne nuit ni aux coloris, ni à la qualité, ni à la solidité. Insensible au soleil, à l'eau de mer, aux lavages. Encore un bel avantage pour les pulls des marins mis à si rude épreuve lors des campagnes de pêche !
Mais surtout, l'occasion d'un slogan bien balancé que je n'ai pas résisté à m'approprier pour en faire le titre de mon billet ;-)
Marie Claire - 14 juillet 1939
Puis Marigold passe au Mitin, comme en témoigne cette tôle publicitaire de 1953. Cet antimite-là fait lui aussi sa promotion, comme ici dans un Elle de 1949, et lui aussi se présente comme un traitement définitif : laines ou lainages traités au Mitin peuvent être lavés ou nettoyés jusqu'à la fin de leur usage : ils ne risquent plus rien !
Publicité dans Elle - 15 décembre 1952
Définitif, faut-il qu'il le soit ! Car ma belle laine bleue, effectivement traitée au Mitin et que par conséquent les mites et leurs larves fuient, est soixante-dix ans après intacte et fraîche comme à son premier jour !
L'image des asticots et des papillons fuyant dans l'affolement général le gilet du petit dernier m'a achevée. Il y a de tous temps des génies de l'illustration kitsch :-)
Que vais-je tricoter avec ces écheveaux ? J'ai bien dégotté sur Gallica les explications pour un pull habillé –et très sophistiqué- dans un Femme Chic de 1949 mais je ne crois pas qu'il soit tellement adapté à mon genre de beauté ;-) Ceci dit, c'est un modèle séduisant, trouvera-t-il ici une menue tricoteuse pour se l'approprier ?
La Femme Chic - 1er septembre 1949
Je sens que ça va à nouveau se terminer de manière convenue par un châle. J'ai encore quelques fers au feu avant de mettre un nouvel ouvrage sur mes aiguilles mais je suis pourtant bien tentée de m'attaquer à cette Marigold !