Jardin en bande organisée
Un petit coup de rouge pour fêter l'arrivée des vacances ? On finit toujours par avoir la nostalgie du point de croix et des ouvrages collectifs. Et puis il ne faut pas bouder le plaisir de redécouvrir des broderies un peu anciennes car elles ont l'avantage d'être comme le vin de qualité : elles se bonifient avec le temps.
2010... celle-ci date pas mal mais elle m'a semblé s'imposer en ce beau jour d'été. Attention, préparez-vous à scroller : c'est parti pour trois mètres et trente-huit centimètres de point de marque... mais pas seulement :-)
Il y a onze ans, nous étions encore en plein dans notre grande époque bandes de couture ; ça avait d'ailleurs déjà été mon choix pour un de nos round robins qu'il me reste encore à vous montrer. Il faut admettre que ce type de présentation se prête particulièrement aux ouvrages collectifs.
Annie, l'amoureuse des jardins, fêtait une dizaine. Il n'avait pas été difficile de trouver un thème qui lui plairait tout en laissant libre cours à notre inspiration : quoi de plus répandu que les fleurettes dans notre banque de modèles ?
Tout ça sous la conduite de Babeth, notre cheffe monteuse et reine de la consigne : elle a l'art de nous imposer le strict minimum afin de ne pas nous brider par des contraintes trop fortes. Mais au final, elles se révèlent toujours suffisantes pour insuffler à l'ensemble un inégalable air de continuité. Cette fois-ci, les éléments communs se réduisaient à la toile, une 16 fils de Permin en blanc cassé, la largeur, vingt centimètres, et enfin la couleur, rouge avec permission de s'en écarter discrètement.
Et le thème, bien sûr : le végétal agrémenté de la présence d'un alphabet et d'une identification par nos initiales. Pour le reste nous nous sommes glissées de nous-mêmes dans l'esprit apprentissage qui caractérise les bandes, en jouant avec ces accumulations diverses et variées pour lesquelles nous avons toutes une inclinaison particulière. Je trouve assez amusante la manière dont nous avons chacune choisi l'élément phare de notre broderie sans nous concerter sur ce point en particulier et pourtant sans qu'il n'y ait de redite. A Brigitte, la tonnelle ; à Joëlle la maison ; à moi la plate-bande ; à Flo, la jardinière et à Babeth le panier fleuri.
Autour de sa tonnelle ombragée, Brigitte a organisé pas moins de trois alphabets sagement précédés d'une croix de par Dieu et encadrés par notre frise de roses favorite. Elle a profité de la latitude qui lui était offerte pour toucher son monogramme d'un brin de couleur. Elle a ensuite illustré la progression de l'apprentissage par une série de points tels que les fillettes en réalisaient dans leur débuts, suivie des reprises brodées par les plus émérites.
Au cœur de son jardin, Joëlle a construit la maison qui lui donne tout son sens, accompagnée d'une branche fleurie transformée en arbre par une démesure naïve. Le tout commence dans une symétrie de bon aloi, vite brisée par la série de chiffres casée verticalement dans le seul espace resté disponible ; nécessité fait loi, c'est un des traits particulièrement touchant des ouvrages scolaires anciens. On retrouve là toute la fantaisie des fillettes d'autrefois qui commençaient sagement à se plier aux règles pour finir par les envoyer valser et n'en faire qu'à leur tête.
Je me souviens seulement que je me suis régalée à cet exercice ; il suffit d'attaquer et de laisser courir l'aiguille. Mon point de Paris chouchou commence et clôt l'exercice : au début pour mettre l'alphabet en cases et à la fin pour appliquer sur la toile ce merveilleux ruban ancien, si bien adapté au thème choisi. Entre les deux, la série de points de base en ligne qui s'impose dans un exercice scolaire, suivie d'un focus sur les jours puis d'une fantaisie au croquet pour apporter de la matière à l'ensemble.
C'est Florence qui a pensé à mettre une touche de vie dans notre bande, en symbolisant Annie en ses terres. Elle a puisé dans nos modèles de filet ancien, qui s'adaptent si bien au point de croix, cette élégante jardinière entourée d'un alphabet virevoletant. Pour faire mine de mettre un peu de sagesse dans son morceau, elle a divisé la partie droite en un parterre de six carrés, délimités par autant de jours différents. Mais la diversité de leur contenu, à la fois émérite avec la reprise, naïf avec les petits motifs et fantaisiste avec les nacres rapportées, dément vite ce semblant d'ordre.
Babeth s'en est donné à cœur joie avec son exercice : c'est de l'accumulation dans tous les sens. Du point de marque, des jours, de la couleur, des fonds texturés, des frises horizontales et verticales, des couronnes entières et demies... et que dire de ce final éblouissant malgré sa discrétion ? Je regrette que la médiocre qualité de ma photo ne permette pas d'apprécier à sa juste valeur la bande de filet qui clôt son exercice : oui, c'est bien un fond ajouré qu'elle a entièrement créé à l'aiguille et rebrodé d'une frise de roses au point d'esprit ! J'y pense à nouveau en revoyant cette petite merveille : depuis longtemps, je veux qu'elle m'apprenne cette technique.