Découverte sensationnelle dans la couture
Je reste sur ma lancée de dimanche dernier et de la mercerie vintage avec ce curieux Passfils provenant du même don que mes bobines à tête.
C'est une pochette bavarde comme on les aime, qui fourmille d'indications et de slogans flatteurs ; une découverte sensationnelle dans la couture, qui permet de reproduire les tracés d'un patron sur le tissu.
Il s'agit d'un procédé assez original pour son époque, probablement, puisqu'il a été breveté et a même obtenu une médaille d'argent à la foire de Paris ; un simple papier décalqueur, pourtant, qui n'a rien pour nous étonner aujourd'hui.
Au verso figure le mode d'emploi et les différentes manières d'utiliser le Passfils : soit avec une roulette à patron, soit en piquant avec une machine à coudre dont on a laissé l'aiguille désenfilée.
La promesse est alléchante : enfin il n'est plus nécessaire de passer par la fastidieuse étape du faufilage pour marquer ses patrons sur le tissu. Et voilà qui justifie l'astucieux nom dont on a baptisé le dispositif. Même la lingère et la brodeuse peuvent reproduire leurs dessins !
Le papier existe en blanc, jaune et bleu pour pouvoir s'adapter à toutes les teintes de tissu et il est utilisable un nombre incalculable de fois.
Mais la bonne affaire, c'est qu'il ne salit pas les mains ! Certainement ce papier à reproduire les patrons, dont la version moderne nous semble si ordinaire, apparaissait-il fort pratique avant-guerre puisqu'on donnait encore des astuces pour fabriquer soi-même son papier à décalquer. Le Larousse ménager en 1926 ou bien La femme chez elle en 1932 proposent par exemple des recettes maison qui ne paraissent pas plus engageantes l'une que l'autre.
Source : Gallica
La pochette contient une bande de papier enduit, un peu mou, et alourdi par le traitement qu'il a subi. C'est vrai qu'il ne tâche pas les mains ; et en plus, il remplit toujours son office, quasiment un siècle plus tard !
Ce Passfils n'est guère facile à suivre dans la presse, il faut avancer en crabe pour parvenir à le cerner. Une première recherche renvoie bien peu de résultats : une occurrence seulement dans Gallica et qui ne nous mène pas bien loin puisque c'est une petite annonce pour recruter des représentants. Assez pour obtenir une adresse, 18, rue des Capucines et une époque, juste avant la dernière guerre.
L'Intransigeant du 3 mai 1936 - Source : Gallica
Pour la raison inverse, ce n'est pas plus simple d'entrer par le nom de Vivet qui figure également sur la pochette, mais sans plus de précisions : beaucoup trop de résultats, même en le recherchant couplé avec le terme mercerie.
Heureusement nous sommes à Paris, le salut vient des annuaires. Dans le Paris-Adresses de 1932, proposant providentiellement un tome classé par rues, il suffit de se rendre au 18 de la rue des Capucines pour découvrir que l'immeuble héberge non pas un fournisseur de mercerie mais un atelier de couture au nom de Vivet.
De quoi relancer le travail de fouine en recherchant cette fois Vivet en proximité de couture, ce qui se révèle un peu plus payant. C'est une maison qui se targue même de donner dans la haute couture et propose des talents de dessinatrice pour exécuter des croquis dans ce domaine. Elle a donc créé le papier dont elle avait besoin, en escomptant faire un peu de profit avec sa commercialisation.
Didot-Bottin de 1928 et Les Échos du 8 août 1931. Source : Gallica
Une dernière petite recherche, pour rendre à Valentine ce qui est à Valentine. Par chance, les Vivet habitent sur leur lieu de travail, nous les retrouvons donc au recensement de 1936, à l'adresse de l'atelier.
Attention, surtout ne reproduisez pas cette cascade chez vous ! Henri Vivet est sapeur-pompier et on lui a opportunément ajouté en surcharge la fonction de couturier pour pouvoir le faire apparaître comme patron de la maison, puisque sa femme est incapable juridique. Au moins ma Juliette avait-elle été un peu rétablie dans la réalité de son activité, un demi-siècle plus tôt, par l'agent recenseur.
Car la vraie couturière, c'est Valentine, et c'est sur elle que repose le fonctionnement de l'atelier comme le trahit le tour de passe qui consiste, juste à deux lignes d'écart, à la faire apparaitre comme l'employeuse de Lucie Lebourgeois, sa seule couturière logée.
Recensement de 1936 au 18 rue des Capucines. Archives de Paris
La maison de couture Vivet, c'est donc Valentine Chitel, née en Normandie en 1895, qui divorcera d'Henri en 1949 et vivra encore un demi-siècle, jusqu'à l'âge respectable de 103 ans. Un profil de femme, à nouveau, discernable in extremis derrière ma pochette de papier décalqueur...