Nompareilles
Ça commence avec un petit shoot de sérendipité. De furetage en furetage, j'atterris en douceur dans Les adresses de la ville de Paris avec le trésor des almanachs en 1691, un livre commode en tous lieux, en tous temps et en toutes conditions. Rien que la page de titre envoie du rêve, vous ne trouvez pas ?
Évidemment, je vais bien vite à la rubrique du commerce de Mercerie. On y trouve un peu de tout, pour rester dans la définition de l'époque puisque quelques décennies plus tard, Diderot voit encore la mercerie comme le commerce de presque toutes sortes de marchandises. Un mercier est marchand de tout & faiseur de rien.
On y apprend ainsi que les éguilles & épingles se vendent en gros ruë de la Huchette à l'Y, prés la Croix du Tiroir à la Coupe d'or. Et on en arrive vite aux choses sérieuses avec le commerce de soyes, d'étoffes indiennes, d'estoffes d'Italie, Or et Argent, Velours et autres, de rubans.
Les rubans, justement, parlons-en ! Les Sieurs Gaudet, le Clerc & du Val ruë d'Arnetal font commerce de ces sortes de rubans étroits qui sont appelez nompareilles.
Et bien moi, c'est un mot que j'ignorais totalement. Et pourtant… On voit bien ici ou là que ces nompareilles sont effectivement de légers rubans de soie de différentes couleurs, ou encore un ruban or étroit fabriqué par d'habiles ouvrières de Lille, et qu'on les tressait volontiers dans les cheveux.
Le Capitaine Fracasse, Théophile Gauthier
Pour aller plus loin, et obtenir des indications un peu plus précises, il faut aller farfouiller dans la précieuse Encyclopédie méthodique du commerce, à son tome 3 consacré au commerce. La rubrique des rubans de soie nous apprend que l'appellation de nonpareille a tout à voir avec leur dimension.
À Paris, où rien ne se fait comme ailleurs, les rubans sont fabriqués à largeurs variables, en satisfaisant à l'exacte commande des marchands. L'Encyclopédie précise simplement qu'il s'en fait peu d'étroits et que la largeur la plus courante correspond généralement au numéro 11 des rubans du Lyonnais.
Car les rubans de soie unis tissés à Lyon, Saint-Étienne ou Saint-Chamond, le sont, eux, en respectant onze largeurs bien répertoriées qui s'expriment principalement par des numéros.
Encyclopédie méthodique du commerce
Cependant, les deux catégories les plus étroites sont un peu à part puisqu'elles ne sont pas repérées par des numéros mais par des noms, la nonpareille et la faveur. La voilà, notre fameuse nompareille qui figurait dans les Adresses de la ville de Paris !
C'est la dimension la plus étroite des rubans du Lyonnais et elle correspond à une largeur de deux lignes, soit environ 4,5 millimètres en mesure d'aujourd'hui.
Où l'on apprend par la bande d'où vient la faveur, restée dans notre langage courant pour désigner un ruban : c'est la largeur suivante, un peu supérieure à 11 millimètres.
Rubans du Forez dans la collection Richelieu
Malheureusement, je n'ai pas trouvé de nompareille repérée comme telle parmi les cinq mille échantillons textiles de la collection Richelieu, pour la plupart des rubans qui constituaient un accessoire de mode essentiel au XVIIIe siècle. Mais probablement y en a-t-il dans les boîtes de cette marchande de modes que Boucher représente en 1746, en train de tenter une élégante.
La marchande de mode, Boucher, 1746 – Nationalmuseum Stockholm
En tout cas, j'en ai plein, moi, de ces rubans de soie tout fins. Et maintenant, au moins, je sais les nommer ! Mes nompareilles...