Au Bonheur des Dames
Ciel, me transformerais-je en gazette des programmes ? C'est le hasard mais après les Savanturiers sur France Inter la semaine dernière (j'espère que vous avez aimé), je dois vous signaler aujourd'hui un passionnant documentaire rediffusé sur Public Sénat ces jours-ci. Et si je le fais sans attendre, c'est qu'il vous reste des sessions de rattrapage notamment le week-end prochain.
Ce documentaire, c'est Au Bonheur des Dames. Il a pour ambition de décortiquer l'invention du grand magasin et ce qu'elle a révolutionné dans les modes de vie. Il s'appuie principalement sur l'expérience d'Aristide Boucicaut et de son Bon Marché dont s'est également inspiré Zola pour son roman.
Publicité pour la prépublication dans Gil Blas - Le manuscrit de Zola
Source Gallica
Illustré par une iconographie variée, le film démonte les ressorts implacables de la consommation de masse que des pionniers comme Boucicaut ont littéralement inventée et rationalisée à grande échelle : organiser un espace susceptible de garder la clientèle captive, rendre désirables des objets dont elle pourrait parfaitement se passer, faire de l'acte d'achat une expérience se suffisant à elle-même, tout mettre en œuvre pour que se renouvelle à l'infini l'impérieux besoin de consommer... Bah dites donc, ça ne resterait pas un peu d'actualité, cette filouterie-là ?
Le Bon Marché représenté au verso des chromos publicitaires
Collection personnelle
Mais bien au-delà d'une révolution dans le commerce, l'avènement du grand magasin a participé à sa manière à l'évolution de la condition féminine. Avec le Bon Marché, les bourgeoises aisées qui constituent dans un premier temps son cœur de cible découvrent une occasion de sortir de chez elles… autrement que pour fréquenter l'église. Les jeunes filles modestes y trouvent comme vendeuses une voie de promotion sociale et, pour les plus entreprenantes, la possibilité de développer ensuite leur propre petit commerce : 583 magasins ont été créés en France sous l'enseigne Au Bon Marché, souvent à l'initiative d'anciennes employées du grand magasin parisien.
"Au Bon Marché" partout en France
Cartes postales Delcampe
Les techniques commerciales modernes, qui nous semblent tellement banales aujourd'hui, sont peaufinées et expérimentées par Aristide Boucicaut en cette fin de XIXème siècle : évènements récurrents comme les étrennes, le mois du blanc ou les soldes, vente par correspondance, collections saisonnières de prêt-à-porter, utilisation des enfants pour appâter les mamans...
Affiche publicitaire pour les étrennes 1911
Source Gallica
Du coup le documentaire fourmille d'anecdotes sur nos petites collections. Par exemple ces carnets d'échantillons de tissus si recherchés : imaginez-vous que le Bon Marché a employé jusqu'à cent cinquante jeunes filles rien qu'au découpage et au façonnage de ces petits dépliants ?
Carnets d'échantillons du Bon Marché
Collection personnelle
Et les séries de chromos dont certaines ont été imprimées jusqu'à quarante mille exemplaires : pour entretenir le suspens, Boucicaut avait imaginé distribuer une nouvelle image tous les jeudis, si bien que les mioches tannaient leur mère pour venir au magasin chaque semaine afin de compléter leur série. Gros malin, va...
Images pour enfants sages
Collection personnelle
Et encore les catalogues de vente par correspondance, distribués dans le monde entier pour venir débusquer la clientèle jusque chez elle. Six millions de catalogues pouvaient partir dans l'année, ce qui supposait une organisation étourdissante pour gérer les commandes !
Catalogues de mercerie, de blanc, d'articles de jardins, de vêtements de communion...
Collection personnelle
Ça donne envie de reprendre Zola et Au Bonheur des Dames. Dès les premières pages, je me suis fait la réflexion que j'avais oublié à quel point c'était plaisant à lire et comme chaque phrase faisait naître un flot d'images. Du cinéma avant le cinéma... Pour aller plus loin, le dossier préparatoire de Zola est en brut sur Gallica et en décrypté sur cette exposition de la BnF. Et puis sur Gallica toujours, le règlement général du Bon Marché évoqué dans le documentaire.
En bonus final, je vous laisse avec une trace touchante de l'œuvre d'Aristide Boucicaut dans la vie de nos ancêtres proches : quand notre grand-mère préparait sa commande au Bon Marché…
Un catalogue de 1936, ses dépliants et ses notes
Collection personnelle
Le Bon Marché, c'est mon grand magasin parisien préféré car je trouve qu'il a su se moderniser sans perdre tout à fait son ADN Boucicaut. Et vous ?