Découpages au pays d'Enhaut {1}
C'était au départ la véritable motivation de notre voyage : voir et revoir l'émouvante collection de papiers découpés que protège, comme un patrimoine inestimable, le musée du Vieux Pays d'Enhaut et notamment la production de deux artistes précurseurs : Hauswirth et Saugy.
De Johann Jakob Hauswirth, on ne sait rien ou presque. Il est de ces transparents qui ne laissent pas de traces écrites parce qu'ils ne possèdent rien et vivent aux lisières de la société. Il reste de son histoire deux jalons, une vie qui commence à Saanen en 1809 et qui prend fin dans la misère en 1871, à l'abri précaire d'une cabane enfouie dans les sombres gorges du Pissot.
Entre les deux, la tradition orale rapporte l'histoire d'un journalier qui passait se louer dans les fermes ou encore comme charbonnier dans les forêts de la région. Au matin, à ceux qui lui avaient offert un toit pour la nuit, il laissait le remerciement de dentelles impalpables, ciselées dans des papiers de récupération.
La fascination naît de l'apparente contradiction entre ces papiers de fortune si finement découpés, légers comme un souffle, et leur créateur décrit comme un homme frustre, lourd et silencieux. On raconte qu'il avait dû rapporter sur les anneaux de ses petits ciseaux des boucles de fil de fer pour pouvoir y passer ses gros doigts.
On a surinterprété les portails toujours fermés, les bouquets somptueux, les scènes de bataille qui naissaient de ses mains, en lui supposant une vie jalonnée d'évènements douloureux. Mais la vérité, c'est probablement qu'il faut accepter d'abandonner l'homme à son ombre, pour n'en connaître que ce qu'il a laissé et qui est infiniment plus que la plupart de ses contemporains. A la pointe de ses ciseaux, il racontait la symétrie du monde et les riens de la vie quotidienne, observés lors de ses inlassables cheminements.
Ses découpages regorgent bien sûr des motifs de l'art populaire, les cœurs, les traditionnelles montées à l'alpage, les cerfs bataillant. Mais Hauswirth fait aussi apparaître dans ses entrelacs de papier le forgeron au coin de son feu, le bûcheron en forêt, la demoiselle sous son ombrelle, l'eau puisée à la fontaine, l'enfant et son cerceau…
Heureusement, on a aimé dans les fermes les précieux papiers festonnés par Hauswirth qu'on glissait, comme un trésor, au creux de bibles protectrices. Heureusement, des passionnés d'art populaire ont ensuite su récolter et conserver la fragile production d'un homme qui restituait, avec tant de sensibilité, la vie palpitant autour de lui.