À quoi rêvent les couturières ?
C'est le jour où je me laisse aller à une confidence : je suis plongée en ce moment dans la correspondance quasiment quotidienne qu'ont échangée mes parents avant leur mariage. Pendant deux ans, mon père a été éloigné par ses obligations militaires, d'abord en Allemagne, puis à Saumur, puis en Algérie. Ce qui est resté de cette correspondance, en réalité, ce sont très majoritairement les lettres écrites par mon père ; car ses tribulations ne lui ont permis de sauver qu'une infime partie de celles de ma mère.
Je lis tout de même ce qu'elle lui raconte, en creux, dans les réponses qu'il lui fait : ici il imagine sa vie de tous les jours à l'atelier de couture où elle travaillait alors ; là il la supplie de ne pas veiller trop tard sur les incrustations de dentelles qu'elle doit faire à la robe de Madame Tardy ; ou encore il lui demande si le long travail de ouatinage qu'elle a réalisé sur la doublure de son loden valait sa peine pour la protéger du froid.
Je ne peux m'empêcher de penser aux cartes postales nunuches du début de ce siècle-là, quand on n'imaginait pour les jeunes filles aucun autre avenir enviable que le mariage. Des décennies plus tard, alors que les mentalités commençaient sur ce point à peine à évoluer, ma mère assumait depuis des années une vie de célibataire convaincue. Pourtant, le hasard d'une rencontre et les circonstances d'une absence ont bien dû la porter parfois aux mêmes rêveries, lors des soirées de travail où elle luttait contre le sommeil pour finir la tenue d'une cliente privée...