Plein les yeux
J'ai attendu la dernière minute… mais heureusement, je n'ai pas raté cette exposition que nous autres Dijonnaises avons eu le privilège de pouvoir visiter en voisines.
Le musée des Beaux-Arts à Dijon
Montée en collaboration entre le musée d'arts de Nantes, le musée des Beaux-Arts de Dijon et le Palais Galliera, elle cible le XVIIIe siècle qui vit naître la mode dans son acception moderne et émerger les métiers qui lui sont liés. Le parcours scénographique propose un dialogue pertinent entre des pièces textiles remarquables et l'écho de leur représentation par les peintres.
Je me méfie toujours du regard idyllique et volontiers nostalgique porté sur le passé comme étant le temps des jeunes demoiselles qui soupirent à leur fenêtre en tirant rêveusement l'aiguille ; en réalité, la plupart de nos ancêtres trimaient comme des bêtes de somme. Il est donc bon de planter le décor en soulignant que cette exposition met l'accent sur les représentations vestimentaires minoritaires des ultra-privilégiés, de même que les petites mains mises à l'honneur sont encore partie de l'élite puisqu'elles s'arrêtent à la marchande de modes, avec l'incontournable figure de Rose Bertin, et au tailleur d'habits pour messieurs de la bonne société.
Ceci posé, c'est un bonheur de contempler des pièces textiles dans un état de conservation remarquable et de détailler à son aise des techniques étourdissantes de précision, qu'elles soient au service de l'aiguille ou du pinceau. Je me suis plongée sans arrière-pensée dans le fascinant détail des étoffes, des dentelles, des broderies et des passementeries ; j'aime le faire avec les œuvres proposées en ligne, alors frôler les tableaux des yeux dans la vraie vie multiplie vertigineusement le plaisir de l'observation !
On admire l'œuvre des peintres qui participent à la diffusion de nouveaux modèles contemporains en mettant en valeur les luxueux vêtements de leur clientèle, à tel point que des traités leur enseignent comment représenter au mieux les différents types d'étoffe. Mais ils collaborent aussi très directement à la fabrique de la mode avec la création de motifs textiles ou de décors pour les accessoires.
De très belles pièces m'ont rappelé les luxuriants gilets masculins admirés il y a déjà sept ans au MAD, lors de l'exposition Déboutonner la mode.
Mais au-delà de ces pièces d'apparat, l'œil de la couturière s'attarde avec bonheur sur la simplicité apparente d'un pierrot blanc, d'un jabot de chemise masculine, du fin boutis rehaussant un bonnet d'intérieur ou une layette. La délicatesse des points ourlant en toute discrétion un linon évanescent, la régularité du feston bordant sans ostentation un suivez-moi-jeune-homme, le savant lacis d'une pièce d'estomac à peine destinée à être vue… C'est en vrac ce qui se donne à contempler dans la section plus particulièrement dédiée aux négligés, qu'ils soient féminins ou masculins.
Le cadre magnifique de ce premier étage du Palais des États accompagne le plaisir de la balade entre les œuvres. J'ai bien aimé la scénographie qui laisse deviner comme en filigrane, dans la grisaille des décors, les petites mains œuvrant à tant de merveilles, de même que les traditionnelles citations qui, lorsqu'elles sont bien choisies, ponctuent le propos en le renforçant ou en le relativisant.
Mais mes coups de cœur secrets sont encore ailleurs et, somme toute, assez prosaïques : ici un carnet d'échantillons présentant rubans, lacets, ganses, cordonnets et jarretières, parce que… les échantillons, quoi ;-) Là un exemplaire original de L'Art du brodeur dont j'ai tant feuilleté le fac similé. Sous vitrine et intouchable, bien évidemment, mais j'aurais été assez tentée de tourner ses pages, à lui aussi !
L'exposition est accompagnée par un catalogue qui promet de belles heures de lecture mais sur lequel j'ai encore trop compté pour compléter les photos prises sur le parcours car son iconographie n'est évidemment pas exhaustive. Je n'y ai pas retrouvé, par exemple, cette robe de taffetas rayé dont j'ai oublié de photographier le cartel ou encore cet étonnant habit d'homme dont j'ai bien foiré la capture.