Une cage et deux serins prisés deux francs
Estelle est la maman de mon arrière-grand-mère Georgette, dont les soupes à la tomate ont fait le délice de notre enfance. Une arrière-grand-mère qu'on surnommait microsillon : je vous laisse imaginer de qui je tiens ma nature bavarde ;-)
Et voilà ce que j'aime dans les trouvailles généalogiques : réaliser soudain que le dernier son entendu par Estelle avant de mourir est le pépiement de ses serins.
Inventaire dressé le 7 août 1884 après le décès d'Estelle Lesbroussard
Archives départementales de l'Oise - 2E 79/24
Car le notaire fut d'une précision diabolique quand, juste après la disparition d'Estelle, il dressa l'inventaire de ses biens. Grâce à lui, je vagabonde à mon gré dans la maison de mon ancêtre : la réalité de l'écrit notarial, bien avant la réalité virtuelle, mais tout aussi évocatrice.
La cage aux oiseaux était dans la cuisine, éclairée sur le jardin. Pour peu qu'une main amie ait fait ce qu'Estelle, peut-être, n'avait plus la force de faire elle-même et levé le chiffon noir qui occultait la cage, le couple de serins devait s'en donner à coeur joie en ce joli mois d'avril 1894.
Dans la chambre à coucher d'Estelle, il y avait une armoire à linge en noyer resserrant la totalité de sa vêture : dix-neuf chemises, cinq flanelles, cinq cache-corsets, quatre pantalons, deux jupons, douze mouchoirs blancs, trois jupons de couleur, un costume de soie marron, un costume de drap gris, deux paires de chaussures, une robe de nuit, cinq matinées et six jupons.
D'elle que je n'ai pas connue, je garderai donc deux images : un couple de serins en cage chantant au printemps qui vient et ces toilettes qui me semblent si réelles, de soie marron et de drap gris.