Comptes illustrés
Cette fois-ci, il n'y a pas d'enquête, je n'ai pas fait ma fouine comme avec Ella May Puddington ou Ida Jackson. Mais il y a tant à regarder dans le bel album de Barbara Johnson conservé au V&A !
Elle commence à le tenir en 1746, alors qu'elle n'a que huit ans, puis continue à l'enrichir tout au long de sa vie, pendant près de quatre-vingts ans. Fille d'un vicaire anglais du Buckinghamshire, Barbara traverse l'existence en conservant son indépendance. Elle bénéficie d'une modeste rente laissée par sa mère qui la maintient hors de la pauvreté mais la contraint malgré tout à la plus grande rigueur dans le contrôle de ses dépenses, notamment vestimentaires.
Après avoir probablement été un objet éducatif sous la conduite de sa mère, sa gazette des atours représente pour Barbara un outil de maîtrise comptable, presque un livre de comptes illustré, dans un domaine où elle doit maintenir une vitrine sociale tout en surveillant de près ses dépenses. C'est d'ailleurs un vieux registre de caisse déjà rempli qui sert de support aux frivoles échantillons de tissus. Ce recyclage lui-même apparait a posteriori comme un symbole du souci d'économie qui s'impose à elle.
Son album constitue aujourd'hui pour nous une inestimable source de documentation sur les tenues et les textiles abordables à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles.
Constitué de cent-vingt-deux échantillons de tissu éparpillés sur quatre-vingt-dix-sept pages, il témoigne des moyens de Barbara qui pouvait se permettre d'augmenter sa garde-robe de deux à trois tenues par an. Ce rythme d'achat constituait déjà une petite aisance pour l'époque tout en restant loin du grand luxe ; c'est en cela aussi que les tissus qu'il contient sont intéressants à observer.
Aux coupes soigneusement annotées par leur destination et leur prix, s'ajoutent des gravures de mode probablement extraites, pour la plupart, de The ladies' complete pocket book. Entre les commentaires et les illustrations, l'album donne ainsi une bonne idée du vêtement final auquel correspond chaque sorte de tissu.
Le journal textile de Barbara permet de suivre les modes, les usages de consommation et même l'actualité du temps. Ainsi au printemps 1751, elle relate l'achat d'une popeline gris foncé et d'une étoffe noire pour la confection d'une tenue de deuil après la disparition du prince Frédéric de Galles, mort le 31 mars.
La page suivante est encore tout inondée de noir, mais cette fois-ci pour la mort de son père en 1756, puis de sa mère en 1759. Barbara vient tout juste d'atteindre ses vingt ans.
Ce calicot bleu nuit à huit pence le yard qui fut confectionné à Bath au printemps 1808, connut-il les cieux d'Upsala ou de Barcelone ? Ou, plus probablement, Barbara se contenta-t-elle de caresser de beaux rêves de voyages en parcourant la presse de l'époque ?
Quant à nous, nous ne ferons pareillement que rêver devant ces tissus aux imprimés discrets et si présents, ces faux unis se prêtant à tous les usages, ces cotonnades aux fines branches fleuries, ces semis et ces quadrillés délicats qui accompagneraient si bien tous nos projets de cartonnage...
J'ai fait ma sélection... Quelle sera la vôtre ?
Pour en apprendre davantage sur l'album de Barbara, sa famille, son parcours de vie et la mode de l'époque : Barbara Johnson’s Album: Material Literacy and Consumer Practice, 1746-1823, par Serena Dyer