Qui es-tu Ernestine ? {3}
Que savons-nous d'Ernestine et de sa famille, après nos recherches dans l'état-civil effectuées en ligne et en mairie ? Si vous avez bien fait vos devoirs, vous aurez glané autant de renseignements que moi... et plus encore, j'espère :-)
- elle naît à Bouix le 7 août 1873 et quitte la vie dans une maison de retraite de Châtillon-sur-Seine, bourg voisin de son village natal, le 12 mars 1970. Elle a alors quatre-vingt-seize ans ;
- elle vit célibataire ;
- ses parents, Louise DÉON et Jean Baptiste DÉVIRAT, se marient à Bouix, le 19 juin 1871. Louise est âgée de dix-sept ans et Jean Baptiste a huit ans de plus. Il affiche le métier de vigneron et Louise, quant à elle, récolte le fameux "sans profession particulière" qu'on épinglait bien souvent sur les femmes ;
- un premier enfant leur naît le 21 mars 1872, tout juste neuf mois après le mariage. Ils l'appellent Charles ;
- la branche maternelle d'Ernestine est implantée à Bouix depuis au moins trois générations. Son grand-père et ses deux arrière-grands-pères y étaient déjà vignerons ;
- sa branche paternelle bouge à peine davantage. Jean Baptiste est né à Pothières, le village voisin distant de cinq kilomètres, d'où étaient sa maman et les parents de sa maman. De ce côté-là, la famille est peut-être un peu moins paysanne, on y trouve notamment un mineur ;
- Jean Baptiste, son père, mourra assez jeune, le 21 mars 1899. Il a alors cinquante-quatre ans ;
- Louise lui survivra pendant trente-deux ans, avant de partir à son tour le 13 décembre 1931.
Bouix, rue de la Poterne
Je ne suis pas remontée plus haut que les arrière-grands-parents d'Ernestine car je ne compte pas faire sa généalogie ; il s'agit simplement d'appréhender son contexte familial. Il était modeste s'il faut en croire les métiers exercés par les parents de son père : mineur et cuisinière. Et les vignerons qui se trouvent du côté maternel étaient plus probablement paysans que gros propriétaires terriens, puisqu'au mariage de Louise et Jean Baptiste, on n'a pas jugé utile de se rendre chez le notaire pour lui faire dresser contrat.
Les actes d'état civil ne se résument pas à des dates, on apprend beaucoup en les lisant un peu attentivement. Cependant, après cette première récolte, nous ne connaissons de la vie d'Ernestine que les deux bornes de sa naissance et de sa mort. Quant à savoir comment a surgi cette bourse perlée, très chichi pompon, dans un environnement où on s'attendrait davantage à trouver un cahier de couture dans le genre de celui de Marie ... mystère encore ! Nous allons donc passer à un autre fonds d'archives pour tenter d'en savoir un peu plus.
Les recensements de population
Il s'agit d'une ressource capitale dans nos recherches généalogiques. Ce sont des listes nominatives de tous les habitants dressées dans chaque commune de France, tous les cinq ans à deux exceptions près liées à des périodes de guerre. On les trouve assez généralement en ligne de 1836 à la première guerre mondiale, avec à nouveau des disparités d'un département à l'autre.
Si vous voulez en savoir davantage sur l'histoire du recensement en France, je vous conseille cette page Wikipedia très bien faite. Vous y trouverez notamment les années qui ont donné lieu aux dénombrements de la population et également un récapitulatif des renseignements qu'on peut s'attendre à y trouver, selon les millésimes, pour chaque personne.
Ils sont passionnants car ils donnent à voir la composition des familles et souvent, on peut y déceler les relations entre foyers alliés. Dans les villes, on a une idée de l'importance d'un immeuble avec le nombre de ménages qui l'occupent. A la campagne, on détecte l'entraide familiale avec l'habitat partagé. Dans tous les cas, en suivant les recensements dans le temps, on voit les enfants partir de la maison, les grands-parents y revenir, les gens changer de métier ; bref, on voit les familles évoluer.
Il y a encore un détail que j'aime particulièrement y observer. Comme il s'agit d'un système déclaratif, c'est par eux qu'on peut connaître le prénom usuel des personnes lorsqu'on leur en a donné plusieurs à la naissance, ce qui était très courant. Par exemple, les recensements de Bouix nous apprennent que le père d'Ernestine se faisait appeler Jean Baptiste et non pas Rémy.
Les recensements à Bouix
Je ne m'attarderai pas sur la démarche pour les atteindre car elle est strictement similaire à celle de l'état civil : sur la page d'accueil des archives départementales de la Côte-d'Or, il faut cliquer sur le deuxième bloc ; puis on choisit Bouix dans la colonne de gauche pour afficher les recensements disponibles dans la partie droite de l'écran. Il suffit ensuite de sélectionner dans la liste le millésime qui nous intéresse pour voir la liasse s'ouvrir dans une nouvelle fenêtre.
Les habitants de la commune sont relevés en fonction du déplacement physique de l'agent recenseur dans les rues. Oublié donc, l'ordre alphabétique des noms ! Les familles apparaissent dans l'ordre des maisons, telles qu'elles se présentent dans chaque rue. C'est un méchant inconvénient de cette source dès que la commune est un peu importante : on passe parfois beaucoup de temps à la dépouiller dans les grandes villes, si on ne connaît pas au moins la rue où habitaient nos ouistitis.
Mais dans un petit village comme Bouix, c'est du gâteau :-)
Recensement 1872, vue 4
En 1872, Louise et Jean Baptiste sont mariés depuis peu. Le petit Charles vient de naître, le couple habite avec son bébé rue de Courban, sous le toit des parents de Louise. On le constate en observant les troisième et quatrième colonnes de la liste : les deux ménages sont bien individualisés sous les numéros 48 et 49 mais ils sont localisés dans une maison unique, numérotée 41. Dans le recensement précédent, j'ai vérifié que les parents DÉON habitaient effectivement rue de Courban avec Louise, encore jeune fille ; et dans le recensement suivant qu'ils y sont toujours, mais cette fois tous les deux seuls. Ils ont donc bien hébergé le nouveau couple de leur fille à ses débuts, ce qui n'a rien d'étonnant : j'ai constaté fréquemment ce type de cohabitation en milieu rural, et parfois pour de longues années.
Recensement 1876, vue 6
Quatre ans plus tard, après la naissance d'Ernestine, Louise et Jean Baptiste ont pris leur indépendance. Avec leurs deux enfants, ils se sont installés dans une maison située rue de la Fontaine. Puis en 1881, la famille a de nouveau déménagé pour une maison qui se trouve rue de la Poterne. Charles a dix ans, il est toujours recensé avec ses parents... mais nous avons perdu Ernestine ! Où peut donc se trouver cette petite fille d'à peine huit ans, si elle n'est plus chez ses parents ?
Recensement 1881, vue 7
Ici commence un de ces jeux de piste dans lesquels nous entraîne souvent la quête de nos petites brodeuses. J'ai cherché Ernestine chez ses grands-parents maternels à Bouix, en vain. Je l'ai d'ailleurs cherchée dans tout le village, avec aussi peu de succès. J'ai fait chou blanc également chez ses grands-parents paternels à Pothières.
Évidemment, j'ai poursuivi sans désarmer dans les recensements suivants, en posant l'hypothèse que des circonstances particulières auraient pu justifier l'absence de la petite en 1881, mais qu'elle serait revenue au bercail un peu plus tard. Toujours rien... toujours rien... jusqu'en 1931 ! Ernestine a cinquante-huit ans et je la retrouve vivant avec sa mère, entre temps devenue veuve.
Recensement 1931, vue 4
Puis en 1936, alors que Louise a quitté ce monde, Ernestine cohabite désormais avec "Mademoiselle Joséphine DÉON", née à Bouix en 1851, sa tante. Un rapide retour à l'état civil me permet de confirmer que Joséphine Augustine est la grande soeur de Louise, née deux ans avant elle.
Cinquante ans après son évaporation, la présence d'Ernestine dans son village natal, aux côtés de sa maman puis de sa tante, indique bien qu'il n'y a pas eu de rupture irrémédiable avec sa famille. Mais où a-t-elle vécu, comment a-t-elle vécu tout ce temps ?
Les difficultés que vous rencontrerez peut-être avec vos brodeuses
- vous devez dépouiller les recensements d'une commune de taille conséquente. Dans ce cas, avant de vous lancer tête baissée à tourner des pages et des pages, cherchez bien sur le site des archives départementales s'il n'y a pas une fiche d'aide sur le sujet. J'ai déjà vu des services fournir jusqu'à la liste des rues avec le numéro de vue correspondant dans chaque recensement, comme l'Isère avec Grenoble ou Vienne ; ce serait bien dommage de passer à côté.
A défaut, si vous disposez d'un acte d'état civil proche de la date du recensement, vérifiez s'il ne mentionne pas une adresse précise, ce qui était souvent le cas dans les grandes villes : il est plus rapide de parcourir les pages à la recherche d'une rue que d'une personne ;
- les recensements du XIXe siècle ont été détruits par la Préfecture dans le département qui vous intéresse, en vertu d'une circulaire du 12 août 1887 qui les considérait comme des "papiers inutiles" (sic). Fort heureusement, cette instruction n'a pas toujours été appliquée mais parfois vous ne trouverez les recensements qu'à partir de 1901, pour tout le département ou pour certains de ses cantons. Dans ce cas, il reste à espérer que l'exemplaire communal a été conservé, je vous en reparlerai lorsque j'aborderai les recherches en salle de lecture.
Et maintenant ?
Bien sûr, j'ai retrouvé mon enfant baladeuse pendant ce trou noir de cinquante ans, sinon je ne serais pas là à faire mon intéressante. Mais je dois dire que j'ai laissé reposer l'affaire plusieurs mois et que je l'ai finalement débusquée d'une manière un peu inattendue... dont je vous parlerai dimanche prochain, évidemment :-)