Après 2019 : le cahier {6}
Pour ce sixième épisode du cahier, c'est le moment d'affronter bravement un petit Himalaya : les jours à fils tirés. Nous nous étions accordé une jolie rallonge de temps cette fois-ci... ce qui nous a tout bonnement laissé de la marge pour nos ratages divers et variés. Et il ne faut pas croire : nous avons encore terminé à la toute dernière minute :-)
Récupération d'une vieille serviette à thé...
ou pourquoi s'enquiquiner à broder des jours quand ils sont déjà tout faits ?
Si vous n'avez jamais brodé de jours et que vous vous inquiétez pour votre travail du mois, sachez qu'il en va de cette sorte de broderie comme de toutes les autres : on peut se faire bien plaisir en utilisant uniquement les techniques de base qui sont simplissimes (si, si !). Vous pouvez aussi marier les jours avec d'autres types de broderie que vous maîtrisez mieux, ce qui constitue déjà un joli challenge pour un début.
Et puis comme vous le voyez avec ma serviette à thé, on peut profiter sans vergogne du travail patiemment réalisé par d'autres mains. Les possibilités de récupération ne manquent pas, comme en témoignent également ces métrages de jours Venise que je sauve sur des draps à bout de souffle pour les remonter entre deux morceaux de lin : ils repartent ainsi pour une nouvelle vie, par exemple sur cette trousse de couture.
Mais il faut bien s'y mettre nous aussi, sinon ça n'est pas de jeu :-) Sans entrer dans les subtilités, il y a trois étapes principales pour broder une rivière de jours.
La première étape consiste à retirer un certains nombre de fils horizontaux de la toile pour dégager et ne garder que les fils verticaux. Il faut ensuite arrêter les fils à gauche et à droite à l'endroit de la coupure, ce pour quoi on dispose principalement de deux méthodes.
Ma préférée n'est utilisable que si votre rivière s'arrête près d'une lisière du tissu, mais c'est assez souvent le cas en situation normale et quasiment toujours pour nos échantillons. Au lieu de couper les fils horizontaux aux limites droite et gauche de la rivière, je les coupe une seule fois au centre. Je retire complètement un fil de la toile sur deux puis j'enfile le fil qui reste sur une aiguille et je viens retisser le fil manquant exactement dans le vide qu'il a laissé. C'est la méthode qui donne le résultat le plus net et forcément le plus discret... puisqu'il est insoupçonnable !
Si cette méthode n'est pas utilisable, je consolide les coupures de droite et de gauche au point de feston brodé par dessus trois fils de la toile. La difficulté est simplement de choisir un fil dont le titrage est adapté à la toile ; il doit être assez épais pour couvrir la coupure bien uniformément mais pas trop pour ne pas former de boursouflure.
A la deuxième étape on rassemble en faisceaux les fils verticaux ainsi dégagés, à l'aide d'un point vraiment simple exécuté sur l'envers et dont j'ose dire qu'il est tout bonnement inratable. Selon la manière dont on assemble les faisceaux de part et d'autre de la rivière, on obtiendra des jours simples, des jours échelle ou encore des jours en V.
La troisième étape est facultative et consiste à rebroder les jours échelle de manière décorative, avec toutes sortes de techniques. C'est là que ça se corse et qu'on obtient un résultat plus ou moins satisfaisant. Le secret de la réussite est de bon sens, comme dans tout apprentissage : commencer par le plus simple avant d'aller au plus complexe. Le problème est que l'objet de tous nos désirs, ce sont plutôt les jours très spectaculaires... alors on ne suit pas toujours ce sage conseil :-)
Nous bénéficions d'une abondante documentation ancienne (voir plus bas la rubrique des ressources) mais assez peu explicite car visiblement, ces demoiselles des temps passés étaient moins godiches que nous. Comme elles, il nous faudra donc le plus souvent nous inspirer des croquis ou des photos du résultat terminé pour reproduire les jours les plus sophistiqués.
Je vous conseille auparavant de vous entraîner à maîtriser le noeud magique qui permet de venir, en toutes circonstances, poser son fil exactement là où on l'a décidé. Vous le trouverez illustré dans les Jours à fils tirés de Thérèse, page 12, figure 22 ou, si vous préférez, dans le premier volume des Jours modernes, page 6, figure 21.
L'exercice de Babeth
Je ne peux pas vous dire ce qui n'a pas convenu : Babeth a jeté son premier essai de jours avant même que j'ai eu le temps de le voir. C'était sa première exploration en dehors des jours échelle mais elle ne s'est pas découragée et a résolument choisi son challenge : celui de l'extrême finesse !
Elle a utilisé pour rebroder ses rivières un fil ancien Delespaul titrant 140. Cela donne des rivières d'une délicatesse incroyable et je regrette simplement que cette légèreté soit difficile à apprécier au travers des seules photos.
Voilà en tout cas la démonstration qu'il n'est pas nécessaire d'avoir derrière soi des heures de pratique pour réaliser une page pleine de charme : l'apprentissage doit bien commencer par le début et toutes les sortes de jours sont séduisantes.
Babeth a orné son échantillon d'un beau ruban tissé aux couleurs alsaciennes et l'a maintenu en place en utilisant le point de Paris. C'est une autre manière de donner un effet de jours à la toile, cette fois sans tirer de fils, qui offre un résultat toujours très net et met bien en valeur l'application.
Je vous l'ai déjà rappelé mais si vous ne connaissez pas ce point, vous en trouverez des illustrations et l'explication détaillée dans ce billet datant des débuts du blog.
Vous remarquerez que nous n'avons, l'une et l'autre, pas su résister à l'envie de jouer avec les acceptions du mot en imitant Saint-Exupéry, jonglant après lui entre la lumière et l'espace-temps. Oh ! Les beaux jours ! Cette jeunesse alsacienne qui apporte en ribambelle ses délices à la fête en est la joyeuse illustration.
Mon exercice
Mea culpa : j'ai certes le prétexte de ma baguenaude en Auvergne pendant laquelle mon ouvrage est resté au point mort mais je dois également confesser deux semaines supplémentaires où je me suis fort éparpillée, de préférence vers tout ce qui ne ressemblait pas à une aiguille. En vérité, après la pause des vacances, j'ai eu bien du mal à réactiver la routine cahier qui est devenue la mienne cette année... à savoir lui consacrer chaque minute grappillée dans la journée : le matin avant de partir au boulot puisque le temps de l'été est propice aux réveils précoces et le soir en mettant à profit l'allongement de la lumière naturelle.
J'ai rapidement dû renoncer à ma page bis, qui sera consacrée à l'apprentissage des jours d'Angles ; oui, oui, elle le sera car j'ai bien l'intention de la réaliser, même si c'est dans un second temps. Cependant mon indolence a donné à cette étape un tour réellement scabreux et j'ai craint un moment de ne même pas parvenir à terniner mon exercice d'échantillons. J'aurais eu l'air fin, tiens !
Bref, je me suis à nouveau heurtée à ce constat à la fois accablant et réjouissant : plus j'ai du temps à ma disposition, plus je me laisse aller à en perdre ;-)
Tous les jours sont brodés sur mon lin préféré, le Permin en 16 fils, mais comme j'avais envie de teintes variées pour les fonds, je me suis orientée une nouvelle fois vers l'idée d'un patchwork. Les échantillons sont assemblés par un vieil entre-deux de fil qui fait écho au thème de la page.
L'intérêt de ce type de structure est aussi qu'il permet de se foirer sur un morceau sans compromettre l'ensemble du travail ; mais chut ! ça, il ne faut pas le dire :-)
En réalité, je n'ai pas utilisé cette possibilité. J'ai bien transpiré sur certaines rivières dont le résultat ne me plaisait pas mais j'ai toujours réussi à démonter mon travail pour le refaire autrement. La seule fois où je me suis vraiment fourvoyée en coupant les fils là où il ne fallait pas, je n'ai quand même pas eu le moral de sacrifier les jours déjà brodés : j'ai tout simplement anticipé sur l'étape suivante en rattrapant ma bourde par un semblant de reprise.
J'aime tellement cette phrase de Saint-Exupéry que je l'ai brodée à nouveau, à dix-sept ans d'écart. Où l'avais-je relevée à l'époque ? Peut-être dans un Cent Idées ou alors dans un Marie-Claire Idées des débuts. Si quelqu'une savait me dire de quelle oeuvre elle est extraite, je lui en serais éternellement reconnaissante :-)
Ce souvenir est très vif : le kabic de mon petit frère est bleu azur et mon manteau de velours est citrouille foncée ; en revoyant ces vieilles photos, je me dis que ma mère était quand même une sacrée couturière ! Entre le tricot des tatas et la couture de la maman, je me demande même si nous achetions quoi que ce soit en confection.
Les ressources pour les jours
J'ai beaucoup utilisé mes ouvrages anciens et Babeth nous a dégotté, dans une bibliothèque amie, un bouquin très clair d'Hisako Nishisu, Les jours à fils tirés. Il est malheureusement épuisé mais ça vaut le coup de guetter s'il ressurgit à un prix raisonnable dans les ventes d'occasion.
Ne vous désolez pas si vous ne possédez pas ces vieux livres : Antique Pattern Library, vers laquelle je vous oriente régulièrement, vous offre les six volumes de la série des Jours modernes à fils tirés dans la collection J.S ainsi que la première série des Jours sur toile aux éditions Thérèse de Dillmont ; en anglais certes pour ce dernier exemple, mais on peut très bien se passer des textes. Je vous assure que ces bouquins sont une mine d'idées, à reprendre telles quelles ou à adapter, pour les jours seuls mais aussi pour leurs multiples combinaisons avec d'autres points de broderie
Vous avez également la possibilité de vous faire aider par des vidéos de démonstration. N'oubliez pas de faire une recherche aussi en anglais avec les mots-clés drawn thread work.
Et pour compléter ces sources, je vais envoyer à toutes les participantes au projet du cahier la version numérique de mon fascicule sur les jours. Vous y trouverez expliquées les techniques de base et plusieurs rivières simples qui devraient vous permettre de commencer à remplir votre toile.
Les blogs qui suivent l'aventure
La galerie du cahier est désormais riche de 234 photos, c'est dire s'il y a du spectacle. Allez également faire un petit tour chez les blogueuses qui suivent toujours vaillamment le projet et qui ont publié chez elles l'étape tricot. Pour ma part, j'aime y lire toutes les histoires qui accompagnent leur ouvrage.
Et s'il y en a d'autres, n'hésitez pas à me les signaler en commentaires, je les ajouterai ici.